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Beatrice Rana, Sayaka Shoji et Kian Soltani au Festival de Musique de Menton 2024 – Trio de poètes – Compte-rendu
Le nom de Beatrice Rana est principalement associé au récital et au concerto ; c’est un beau cadeau que Paul-Emmanuel Thomas, directeur du Festival de Menton, a fait aux mélomanes en leur permettant d’entendre la pianiste italienne dans le cadre, inhabituel la concernant, de la musique de chambre. Ce dans les meilleures conditions puisqu’elle était entourée des archets de la violoniste japonaise Sayaka Shoji et du violoncelliste autrichien Kian Soltani pour une soirée sur le parvis de la Basilique Saint-Michel Archange. Un cadre de plein air qui, depuis la naissance du festival en 1949, fait les délices des musiciens par la qualité et l’exceptionnelle définition de son acoustique.
© Loïc Lafontaine
Autant dire des conditions idéales pour savourer à plein la Sonate de Debussy qui ouvre le programme. Cela ne se sait pas toujours assez en France mais Sayaka Shoji compte parmi les très grandes violonistes de notre temps ; une fois de plus on est saisi et séduit par la richesse et l’exceptionnelle malléabilité de la sonorité de celle qui, en symbiose avec un piano complice, sait chanter – et parler – la musique de Claude de France pour traduire sa liberté fantasque. Qui sait aussi saisir tout ce que cette partition tardive dit de l’impermanence des choses, de la fragilité de la beauté et de la vie ...
Kian Soltani rejoint ses deux partenaires. Magnifiée par la touffeur du soir, la poésie debussyste aura on ne peut mieux préludé à l’intimisme avec lequel les musiciens abordent le fameux Trio op. 90 « Dumky » de Dvořák. Là encore, un esprit de liberté préside au déroulement des six sections d’un ouvrage généralement abordé de manière plus extravertie. Magie du choix interprétatif conjugué à l’acoustique du parvis : on a l’impression de surprendre la conversation musicale de trois amis qui, sans forcer la voix et avec un soin infini explorent la musique de façon secrète et narrative. À d’autres les effets et le spectaculaire : chaque mesure fait sens et charme, au sens le plus fort du mot.
© Loïc Lafontaine
Seconde partie en terre allemande et ouverture en duo par Kian Soltani et Beatrice Rana dans l’Adagio et Allegro op. 70 de Schumann. La pièce fut initialement conçue pour cor, mais fonctionne tout aussi bien au violoncelle, d’autant que l’archet de l’Autrichien saisit la spontanéité de la partition – écrite en l’espace d’une journée ! – avec un lyrisme et un feu d’une rare noblesse. A l’instar de Sayaka Shoji, Soltani mériterait lui aussi d’être plus connu en France ...
© Loïc Lafontaine
De Schumann à Brahms le chemin est court : au 1er Trio en si majeur de ce dernier revient de clore la soirée. Une œuvre de jeunesse (1853-54) – contemporaine de la Sonate n° 3 pour piano – dont l’ampleur et l’énergie constituent un beau défi pour ses interprètes. L’Opus 8 confirme l’entente – et l’impeccable préparation – des instrumentistes. Simplicité et ardeur maîtrisée de l’Allegro con brio ; fantomatique étrangeté du Scherzo ; troublante intensité de l’Adagio (où le violoncelliste tire tout le parti de la place qui lui est offerte sans jamais oublier ses partenaires) ; finale d’une joie radieuse mais en rien débraillée (qualité que l’on appréciait tout autant dans l’ultime section du Dvořák) : tout y est !
Transcription du Morgen ! de Strauss en bis : on se prend à rêver que le Trio Shoji-Soltani-Rana se reconstitue régulièrement ...
Alain Cochard
Menton, Parvis de la Basilique Saint-Michel Archange, 6 août 2024
Photo © Loïc Lafontaine
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