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Ben van Oosten rend hommage à Louis Vierne – La quadrature du cercle – Compte-rendu
Le 8 octobre 1870, un mois après la chute du Second Empire, naissait à Poitiers Louis Vierne. Du 27 au 31 janvier était organisée à Paris une série de concerts, conférences et classes de maître pour lui rendre hommage, principalement dans la Salle d'Orgue du CNSM mais aussi à l'Institut des Jeunes Aveugles. Un grand concert avait été initialement prévu à Notre-Dame, la tribune de Vierne de 1900 jusqu'à sa mort soudaine en 1937 – on imagine bien que la cathédrale ne pouvait pas ne pas célébrer le 150ème anniversaire de la naissance de l'un de ses plus prestigieux musiciens. Le drame survenu le 15 avril 2019 ayant rendu l'hommage in situ impossible, Olivier Latry demanda à Frédéric Blanc et à la paroisse d'Auteuil d'accueillir le récital de Ben van Oosten (photo), après ses deux classes de maître des 27 et 28 janvier : l'orgue d'Auteuil restauré (1) convient admirablement à la musique de Vierne, qui fut lui-même, au côté d'Albert Alain, en charge de la surveillance des travaux d'agrandissement de l'instrument, même s'il mourut avant leur achèvement, en 1938.
Louis Vierne © DR
Je me souviens de ce jour de novembre 1985 où nous parvint à Diapason l'intégrale MDG, en quatre microsillons, des Symphonies de Louis Vierne par Ben van Oosten, trente ans à l'époque, aux Cavaillé-Coll de Rouen, Toulouse et Lyon. Un choc musical, ancré dans la mémoire (insurpassable Scherzo de la Sixième !). Laquelle intégrale nous revint dès juin 1987 en CD, toujours aussi admirable (redoutable réécoute, parfois, mais certes pas ici), suivie d'une intégrale des Sonates de Guilmant à Rouen (1990), puis d'un retour à Vierne : Pièces de Fantaisie (1998) et Pièces en style libre (2001), d'une même et haute tenue, le parcours discographique du musicien ayant offert en cours de route une intégrale des Symphonies de Widor, dont il a écrit une biographie (grand souvenir que la Sixième à l'orgue restauré de Saint-Sulpice le 5 novembre 1991, dans le cadre du 1er Festival de Musique Sacrée), mais aussi des florilèges Lemmens et Lefébure-Wely, pour aboutir en majesté à une intégrale de l'œuvre pour orgue de Marcel Dupré puis de César Franck (2018) ! On l'aura compris, le musicien est totalement concentré sur le répertoire symphonique français dont il est, ni plus ni moins, l'un des plus extraordinaires interprètes.
Pour preuve ce récital d'Auteuil où l'on put admirer d'emblée cette faculté phénoménale, propre aux organistes mais d'une impressionnante musicalité, maximale, chez Ben van Oosten : la capacité à s'adapter au vaisseau dans lequel retentit l'instrument. Passer mentalement et physiquement, pour un même programme, de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame d'Auteuil, qu'il s'agisse des dimensions de l'édifice ou de celles de l'orgue, est une gageure. La juste appréciation des proportions s'imposa instantanément, sous-tendant de manière confondante l'écoute intérieure et « extérieure » : la projection du son, d'une extrême lisibilité, nourrie de l'élégance absolue du jeu, intense, habité et restituant l'humanité de Vierne, au gré de registrations jamais saturées, suprêmement évaluées et calibrées mais d'une inventive liberté, le tout magistralement mis en œuvre, tenant compte de l'ensemble des paramètres musicaux et instrumentaux. Bref, la quadrature cercle. Et telle une évidence chez Ben van Oosten, sans aucune recherche d'effet, où le minimum requis atteint aussitôt des sommets.
Console de l'orgue de Notre-Dame d'Auteuil © Mirou
Programme Louis Vierne exclusivement, brossant dans l'équilibre divers aspects du musicien et de son œuvre : Marche épiscopale improvisée de 1930 (reconstituée par Maurice Duruflé), que l'on trouve dans le fameux mais éphémère coffret de 5 CD (2002) Orgues et organistes français du XXe siècle (1900-1950) que Warner (ex-EMI) serait bien inspiré de republier (bis repetita), ou comment magnifier un instrument sans le pousser jusqu'à ses limites dynamiques, harmonie pleine et entière ; Aubade et Hymne au soleil, deux pages superbement contrastées des Pièces de fantaisie, d'autant plus éloquentes ; Stèle pour un enfant défunt, si intimement liée au récital du 2 juin 1937 – dont le clergé de Notre-Dame, pris au mot par le destin, avait décrété qu'il serait le dernier qu'on lui accorderait, au cours duquel Vierne s'effondra à ses claviers, expirant à l'Hôtel-Dieu voisin : absolument bouleversante sous les voûtes d'Auteuil. En seconde partie, précédée du vibrant et très émotionnel Prélude en ut dièse mineur de Rachmaninov transcrit par Vierne, le récital permit d'entendre la mal-aimée de ses Symphonies : l'immense Cinquième (1923-1924), la plus wagnérienne par son chromatisme effréné. Il faut oser jouer une œuvre pareille, et plus d'un aura frémi en lisant le programme. Grave initial d'une modernité et d'une noirceur saisissant l'esprit pour ne plus le lâcher ; Allegro molto marcato épique, harmoniquement audacieux ; Tempo di scherzo dans la meilleure veine du compositeur, grinçant, caustique, sidérant de complexité et ici d'aisance : quel défi pour l'interprète, qui laisse l'auditeur cloué sur sa chaise ! ; sublimissime Larghetto, à ne pas y survivre ; irrésistible Final où l'on entrevoit la lumière, sans véritablement la trouver, mais qui n'en restitue pas moins, par sa force et son intensité rythmique et thématique, l'espoir. Pas de bis, on s'en doute, après une telle œuvre. Si le public des grands concerts de Notre-Dame n'avait pas fait le chemin du far west parisien (beaucoup plus proche qu'il n'y paraît), celui d'Auteuil était debout, enthousiaste, transporté. Un concert d'anthologie.
Michel Roubinet
Paris, église Notre-Dame d'Auteuil, 29 janvier 2020
www.fredericblanc.org/copie-de-agenda
(1) www.concertclassic.com/article/reveil-de-lorgue-de-notre-dame-dauteuil-une-longue-attente-recompensee-compte-rendu
www.concertclassic.com/article/festival-dorgue-dautomne-2019-auteuil-continue-de-feter-son-orgue-cavaille-coll-restaure
Photo © DR
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