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Benvenuto Cellini à Münster - Wilkommen ! - Compte-rendu
Les opéras de Berlioz n’étant pas représentés dans le beau pays qui l’a vu naître, il convient de voyager. Ainsi pour Benvenuto Cellini, dont un décompte des mises en scène en France serait vite fait (1972, première à l’Opéra de Paris depuis la création en 1838, le Festival de Lyon en 1982, la Bastille en 1993 et Strasbourg en 2006). Mais fort heureusement, il y a l’Allemagne, où, à côté de la Grande-Bretagne et à l’occasion la Russie, le premier grand chef-d’œuvre lyrique de Berlioz revient régulièrement. Le monde à l’envers ! Si ce n’est que cette situation n’est pas réellement nouvelle : rien de changé depuis le temps de la carrière itinérante du compositeur !
Donc, cette fois : Münster. Cette charmante ville d’origine hanséatique, dont témoignent ses façades à pignon, n’hésite pas à concocter pour son théâtre, salle de mille places rebâtie dans les années et le style 1950, une production maison de Benvenuto. Ce qui atteste l’inventivité et l’énergie de la politique culturelle locale (imagine-t-on pareille initiative du côté d’Angers ou d’Orléans, villes comparables ?). Avouons aussi, dans ce contexte, avoir hésité à nous rendre sur place, craignant une réalisation provinciale (vite démentie, toutefois, par un de nos espions sur place). Eh bien non ! c’est une leçon que donne la vaillante équipe du Theater Münster.
Car tout, ou presque, se conjugue pour un complet aboutissement. Les prémices étaient pourtant incertaines, avec un programme de salle annonçant un “ opéra-comique ” (ce que cet ouvrage, dépourvu de dialogues parlés, n’est pas) et la version dite de Weimar (mouture allégée et édulcorée de l’opéra, réalisée à la demande de Liszt en 1852). L’ouverture, rendue par un orchestre aigrelet et chichiteux, ne semblait pas non plus un bon présage. Mais, dès le lever du rideau, tout se met ardemment en place. Chacun des constituants, chanteurs solistes, mise en scène, orchestre et chœur, trouve sa juste fonction.
Pour la restitution musicale, la surprise est même de taille ! Avec un plateau vocal qui tient du miracle. Teresa, Cellini, Ascanio et Balducci, soient les rôles principaux, atteignent une quasi-perfection à travers les incarnations de Sara Daldoss Rossi, Adrian Xhema, Lisa Wedekind et Plamen Hidjov : sûreté et élégance de la projection vocale (le contre-ut joliment négocié en voix de tête par Xhema dans son air), en sus de l’abattage et de l’expression. Le Fieramosca de Juan Fernando Gutiérrez et le Pape de Lukas Schmid sont légèrement en deçà, sachant l’exceptionnel niveau artistique des précités, mais s’acquittent avec bonheur de leurs parties. Et tous, parmi ces chanteurs issus de la troupe du théâtre, sans aucun Français et bien peu d’Allemands (et tous parfaitement inconnus des adorateurs de gosiers vedettes), avec une excellente diction et élocution. De même pour le chœur, vibrant et impeccablement en place, malgré sa partie difficile et enchevêtrée comme dans peu d’opéras. C’est dire, pour les répétitions de français et les autres participations, combien le travail préparatoire a été soigné.
L’orchestre, passé la première impression susmentionnée, n’est cependant pas en reste, précis et enlevé, par les soins de la battue claire de Stefan Veselka. Et que dire de la mise en scène ? Du bien, comme pour l’ensemble. Dans ce cas, il y a eu des choix, qui peuvent se défendre pour cet opéra à tiroirs, apte à susciter de multiples interprétations (c’est aussi sa richesse), dans sa veine comique et tragique, légère et profonde. Donc, le choix s’est porté sur la comédie, où les autres aspects, inhérents à la portée de l’œuvre, comme l’idéal de l’artiste créateur dans son combat contre Dieu et les hommes, la transcendance mystique de la transmutation par le feu (pour la fonte finale de la statue de Persée, lui-même tout un symbole !), se retrouvent estompés. Pourquoi pas ? Si la lecture, comme dans le cas d’Aron Stiehl, s’avère probante. Teresa accueille donc Cellini au premier tableau dans son intérieur croquignolet de midinette ; les compagnons du maître ciseleur se réunissent dans une espèce de bouge couvert de tags ; et ainsi de suite… Puisque nous sommes à notre époque, ce qui, tout bien considéré, restitue l’intemporalité du message de l’opéra. La dérision de la cour papale et de son pontife, les ouvriers fondeurs et frondeurs, avec poings levés et dégaines de révolutionnaires en chambre, sont pareillement bienvenus, en phase avec le livret sulfureux (pour son temps). D’autant que chaque intervenant se trouve en situation et bien campé. Bref, on est vite pris par le spectacle, que d’aucuns pourraient croire iconoclaste, mais qui se révèle, de fait, intelligemment et respectueusement pensé.
Reste la partition. La version de Weimar, annoncée comme nous disions, serait plutôt un point de départ ; car il faut tabler sur des coupures insidieuses (dont la plus dommageable est la prodigieuse pantomime d’Arlequin), et quelques libertés (dont une intervention saugrenue, mais drôle, d’une Walkyrie et de sa chevauchée, pendant la scène du Carnaval, comme pantomime grotesque à côté de celle maintenue de Pasquarello). Remarques et réserves, de spécialiste peut-être, à ne pas passer sous silence… Mais qui ne sauraient remettre en cause une production des plus louables, digne d’être montrée en exemple aux édiles routiniers des institutions lyriques de France et de Navarre.
Pierre-René Serna
Berlioz : Benvenuto Cellini – Theater Münster, Allemagne, 6 mars ; prochaines représentations : 13 et 22 avril ; 4 juin 2014. Rens : www.theater-muenster.com
À écouter :
- Version originale, éblouissante, dite “ Paris 1 ”, dir. John Nelson (Virgin).
- Version de Weimar, dir. Roger Norrington (SWR Music, récente réédition).
Photo © Oliver Berg
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