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Bordeaux - Compte-rendu : Tosca - Un grand cru


La Tosca de Puccini constitue l'antithèse du Fidelio de Beethoven. En 1900, cette tragédie absolue dans sa désespérance signe l'échec définitif de l'idéalisme des Lumières. Dans un grand élan humaniste, l'Allemand faisait triompher le bien du mal : Léonore et Florestan vivaient libres et Pizzaro leur bourreau disparaissait. Chez Puccini, le trio équivalent connaît une mort violente : le mal triomphe après s'être insinué au plus profond des âmes. Trois actes et trois cadavres: difficile d'échapper au mélo ! Cela est possible pourtant. A preuve cette nouvelle production de La Tosca à l'affiche du Grand Théâtre de Bordeaux.

Dans cet écrin idéal pour la voix conçu par Victor Louis à la veille de la Révolution française, la musique sonne comme nulle part ailleurs: tout dérapage vériste ferait tache. Nul risque avec le nouveau patron de l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine, le jeune Canadien d'origine caraïbe Kwamé Ryan auquel Hugues Gall avait su donner sa chance à l'Opéra de Paris : ses mains tiennent le juste équilibre entre lyrisme et exactitude. La fosse est à ses pieds, n'hésitant pas à faire de la musique de chambre. On redécouvre la richesse inouïe d'une partition que de mauvais esprits voudraient reléguer au magasin des outrances véristes. Avec Kwamé Ryan, ils trouvent à qui parler.

Ce vrai chef d'opéra porte brillamment toute la soirée au bout de sa baguette, mais avec la complicité constante du plateau animé par un trio de scénographes qui ont plus interrogé la musique de Puccini que les catalogues de modes théâtrales. Metteur en scène et en lumières, l'Irlandais d'origine chypriote travaillant outre-Rhin Anthony Pilavachi a cherché à la fois à approfondir les caractères et à exprimer l'actualité de l'omniprésence du mal dans les sphères publiques et privées. Les costumes de Pierre Albert jouent avec les époques, des années 40 à aujourd'hui. L'intrusion des paparazzi dans l'église pour y faire des clichés « people » de la diva et de son peintre d'amant, comme de la commande électronique de l'ouverture des portes donnant sur la salle de torture privée de Scarpia n'est pas gratuite : elle prend le spectateur à témoin d'une permanence de l'horreur au-delà des progrès fallacieux de la technologie. Au troisième acte, le costume orange de Cavaradossi soulignera de même la continuité du Château Saint-Ange au camp de Guantanamo...

Le premier acte ne s'achève pas sur la vision du Te Deum qui accompagne traditionnellement la méditation de Scarpia. Pilavachi et son décorateur Markus Meyer ont écouté la musique dans toutes ses strates les plus secrètes pour y déceler les troubles de l'âme torturée du bourreau. Pas question pour autant d'excuser le chef de la police, mais volonté d'en présenter une image moins superficielle que la moyenne des mises en scène d'opéra. Ainsi ont-ils renoncé à montrer la cérémonie au bénéfice du feu qui brûle le corps et l'âme de Scarpia: celui-ci se dépouille de ses vêtements, insignes de son pouvoir discrétionnaire sur les êtres, puis se jette à terre bras en croix, comme les possédées du diable de Loudun, tandis que les énormes vantaux de l'église s'ouvrent sur les flammes de l'enfer qui l'habite. Superbe image de théâtre.

Il est temps de parler de la distribution. De la première, en tout cas, car elle alterne avec une seconde au long des dix représentations à l'affiche. Ce Scarpia hors des sentiers battus, c'est Jean-Philippe Lafont qui réussit ici à renouveler son interprétation promenant son immonde personnage à travers les époques, au point qu'on se demande comment un homme aussi merveilleusement chaleureux à la ville peut incarner un tel salopard ! Son bureau du Palais Farnèse n'a plus pour tout mobilier qu'une immense banquette couleur sang entourée d'une fresque tombant des murs représentant des anges en chute libre. Cela se passe de commentaire. C'est là qu'aura lieu l'affrontement des deux fauves, Tosca et Scarpia. Elle, c'est l'Américaine Catherine Naglestad: après un premier acte un peu raide et avant un dernier marqué par la fatigue, elle mène un combat héroïque et sublime vocalement et dramatiquement contre l'incarnation du mal. Bravo !

La surprise, c'est le ténor coréen Alfred Kim, magnifique Cavaradossi de bout en bout : il a l'endurance, la sobriété, la musicalité et la conduite de la voix des plus grands. Les seconds rôles ne déparent pas l'ensemble à commencer par l'Angelotti du RusseYuri Kissin et les Français Jean-Philippe Marlière (le sacristain) et Antoine Normand (Spoletta). Une Tosca de grand niveau international.

Jacques Doucelin

Puccini : Tosca – Grand Théâtre de Bordeaux, le 22 janvier, puis les 26, 27, 29, 30 janvier, 2 et 3 février 2009

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Photo : Guillaume Bonnaud

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