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Cardillac de Hindemith à l'Opéra Bastille : Une résurrection majeure
André Engel est parvenu à capturer les actions si éparses du Cardillac d’Hindemith dans un palace parisien des années 20. Le tour de force épate, commencé et terminé dans le hall de l’hôtel, devant un grand escalier qui n’est pas sans rappeler celui de la Lulu de Chéreau. Entre temps on sera monté dans les chambres puis sur les toits.
Décors hyperréalistes au point qu’ils flirtent avec le surréel, convoqué dans la lunaire pantomime qui réunit, avant que Cardillac ne le poignarde, le Chevalier et sa Dame, mais aussi deux papillons, ou encore dans la scène sur les mansardes, avec ses danseuses et son ramoneur. Le Judex de Franju n’est pas loin. Les références abondent d’ailleurs, et il faudrait pour en dresser le catalogue pouvoir pratiquer autant d’arrêts sur image que ce spectacle implacable interdit : l’opéra d’Hindemith, emporté par la baguette légère et fulgurante de Kent Nagano, file à la vitesse de la lumière, précipitant des changements de décors énormes qui sont autant de tours de force.
Vous devrez donc non seulement voir cette création parisienne mais y retourner. Les chances de se familiariser avec le premier grand opéra d’Hindemith – aussi bref soit-il, à l’exemple de la Salomé straussienne - sont rares et cette production est vous l’aurez compris une réussite totale, même si elle évacue les atmosphères nocturnes qui donnent à l’oeuvre son ton uniment angoissé.
Dans la fosse, Nagano privilégie plutôt une lecture solistique que symphonique, et on le comprend au regard de l’excellence des bois et des vents tellement mis en valeur par l’écriture d’Hindemith. Distribution assez parfaite, avec pour les deux sopranos une justesse qui peine à se trouver, plus chez Angela Denoke, dont la voix raidie a besoin de quelques minutes pour s’assouplir, que chez Hannah Ester Minutillo, Dame d’une élégance inquiétante, avec quelque chose d’une héroïnomane. Au sommet le Chevalier de Charles Workman, formidable de présence sexuelle, et dont le ténor héroïque ne craint pas la tessiture d’un rôle inhumain.
Ventris, en grande voix, paraît plutôt falot en Officier, au point que sa confrontation avec le Cardillac sans remord, et au baryton anonyme de Alan Held, semble pâle. Held par ailleurs se révèle un acteur tranchant, et ses débats internes sont disséqués avec un art qui n’a rien à envier, sinon la voix justement, à Dietrich Fischer Dieskau, qui ressuscita l’ouvrage dans les années soixante. Il faut aller voir ce spectacle, déjà l’un des plus aboutis de l’ère Mortier, pour s’étonner devant sa rigueur et son foisonnement, l’une de ses idées les plus saisissantes apparaissant durant la scène inventée de toutes pièces par Engel pour illustrer le monologue de l'Orfèvre, "entre le prince et Cardillac". Vous serez saisi par un dédoublement aussi inattendu que révélateur, mais on ne vous en dira pas plus.
Jean-Charles Hoffelé
Cardillac, Opéra Bastille, le 1er Octobre, puis les 8, 11, 14, 17 et 20 Octobre.
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Photo: Opéra de Paris/DR
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