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Casse-Noisette en direct du Royal Opera House – Moment enchanté – Compte-rendu
Régal de Noël que cette retransmission en direct, dans 100 cinémas de France, du Casse- Noisette dansé par le Royal Ballet londonien, dont c’est l’une des affiches emblématiques, depuis qu’en 1984, Peter Wright la repensa sur le mode britannique, et présentée notamment par la belle étoile Darcey Bussell, demeurée l’une des gloires de la maison. Inusable, décidément, « cette confiserie musicale », comme disait Balanchine, et chorégraphique, depuis qu’en 1892, Tchaïkovski imagina pour elle une musique aussi raffinée que riche de notes de couleur (c’est le cas de le dire), et d’une incroyable poésie inventive, au point que des chefs aussi exigeants que Sir Simon Rattle se sont plus à l’enregistrer. Multiples versions, de par le monde, depuis la première d’Ivanov-Petipa au Mariinski de Saint-Pétersbourg, et les époques, des recréations russes à Roland Petit et Jean-Christophe Maillot, et de Maurice Béjart (raté) et John Neumeier (sublime), lesquels ont chacun tiré la noisette à eux et à leurs fantasmes.
© Alastair Muir
Pour les Anglais, la donne est claire : tout est rose, des costumes à l’essentiel des décors, sauf lorsqu’ils sont blancs et que des flocons de neige illuminent la scène, ou qu’un immense sapin domine les réjouissances. Ambiance rose, esprit rose, candy succulent, et dans cette féerie, dont le chorégraphe a considérablement allégé les retombées psychanalytiques, et édulcoré la trouble ambiance du Conte mystérieux d’Hoffmann, paru en 1819 sous le titre de Casse- Noisette et le Roi des Rats.
On savoure donc sans arrière-pensée, presque en suçant son pouce, cette douceur digne d’une porcelaine de Brambly Edge, et les soldats ou le roi des rats ne font pas très peur, tandis que le gentil Drosselmayer de Bennet Gartside, pas vraiment inquiétant, anime la scène de ses grands effets de cape bleue. On goûte le charme de l’exquise japonaise Sae Maeda, Clara floconneuse, qui rappelle que la créatrice du rôle avait douze ans, on admire la vigueur et la prestance de Joseph Sissens, son beau Casse-Noisette, et surtout on feuillète avec délectation cet album coloré, garni de centaines de costumes miraculeux, brodés et surbrodés, et de milliers d’accessoires sortis des ateliers magiques de la maison. Tout scintille.
William Bracewell & Fumi Kaneko © Alastair Muir
Puis arrive la deuxième partie et soudain la représentation prend un autre tour, lorsque les boules de Noël font place aux parcours d’étoiles : on entre dans la cour des grands, car la qualité des solistes du Royal Ballet, qui accueille à lui la terre entière en matière de prix de Varna, de Lausanne ou d’étoiles russes, depuis la venue d’un certain Noureev, est proprement éblouissante. Le célèbre pas de deux de la Fée dragée, et du Prince, auquel le chorégraphe n’a pas touché car il est un moment d’anthologie de la chorégraphie initiale, coupe littéralement le souffle. On regarde sans y croire, car en France on a un peu perdu l’habitude d’une telle technique, la fabuleuse Fumi Kaneko, aux équilibres, aux dégagés, à l’harmonie souveraine qui évoquent la divine Svetlana Zakharova, reine du ballet russe contemporain, tandis que son beau partenaire, l’étoile « maison » William Bracewell, déploie une élégance et une perfection dans la retombée des sauts, tout particulièrement, qui rappellent un certain Vladimir Vassiliev, star d’au-delà du rideau de fer soviétique.
Ici, l’histoire importe peu, et la façon dont est traité le conte non plus, seuls comptent ces magnifiques artistes, qui mettent la magie crée par leur beauté et leur incroyable exigence technique et stylistique au service d’une friandise. Bonheur pur. Et ils ne sont pas les seuls à susciter l’émerveillement, car on reste envoûté par le couple de la danse arabe, par les chinois bondissant, tous ces divertissements qui peuvent paraître fades lorsqu’ils sont dansés sans étincelle. Quant aux fleurs et aux flocons, là aussi bien conventionnels, l’harmonie et le charme de la troupe les font vivre et perdre tout caractère obligé. Seule compte l’enchantement des couleurs et des lignes, porteur de son propre sens.
Tandis que Barry Wordsworth, à la tête de l’Orchestre du Royal Opera House, qui joue le jeu joyeusement, bat les ondes musicales de la riche musique de Tchaïkovski avec une ardeur qui fait que jamais ce Casse Noisette ne devient une Belle au bois dormant, malgré sa faible structure dramatique. On en redemande.
Jacqueline Thuilleux
Photo © Tristram Kenton
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