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Cecilia Bartoli réveille le rêve doré des castrats

On les appelait les « voix des anges » parce qu’ils avaient, dès l’enfance, sacrifié leur virilité à venir sur l’autel d’un bel canto virtuosissime. Précisément, le dernier album de Cecilia Bartoli, diva des divas de l’opéra baroque, est baptisé « Sacrificium »(1), hommage remarqué à ces castrats adulés au Siècle des Lumières et qui fascinent toujours aujourd’hui parce qu’ils demeurent des symboles fondamentalement ambigus et sexuels (la mutilation subie dans leur jeune âge leur interdisait la procréation, mais non l’ardeur amoureuse et, pour plus d’un, les aventures galantes).

Reste que ce sont leurs prouesses vocales qui les ont fait entrer vivants dans la légende. Ainsi de Carlo Broschi, dit Farinelli (1705-1782) qui, formé à Naples par Porpora, le meilleur des maîtres, fut, à la cour d’Espagne, le chanteur des rois : d’abord Philippe V, dont il soignait, paraît-il, les insomnies en interprétant nuitamment quatre arias, toujours les mêmes, puis le successeur de Philippe, Ferdinand VI et son épouse Barbara qui en firent leur musicien et conseiller favori jusqu’en 1759, année de la mort du souverain.

Servi par un registre d’une étendue exceptionnelle de trois octaves, Farinelli aura dominé le cortège des castrats de son siècle, de Senesino à Carestini, Salimbeni et l’irascible Caffarelli. En fait, nous ne saurons jamais ce que furent exactement ces timbres d’airain ou de miel selon les emplois. Pour autant, la voie frayée par la Bartoli paraît à la fois la plus plausible et la plus stimulante, confortée de plus par un talent décidément incontournable dans le concert de notre temps.

A cet égard, ce festival de passaggi, trilli, giri da voce et autres pyrotechnies d’extra-terrestres tourne à l’incarnation, démonstration d’un savoir-faire prodigieux où la diva romaine incendie les mots et les notes, ranimant un style de chant dont on jurerait qu’il est le miroir de ce que la réalité historique a dû être. Un bouquet de joyaux seria brille ici, de l’appel pacifié à la mort (Profezie, di me diceste de Caldara) aux arias de bravoure et d’agilité insensée, tels Cadro, ma qual si mira de Francesco Araia et In braccio a mille furie de Porpora.

En tout cas, magnifié par l’accompagnement du Giardino Armonico, partenaire idéal sous la conduite de Giovanni Antonini, familier entre tous de l’univers bartolien, cet opulent album à la gloire du chant perdu des primi uomini signe l’événement de la rentrée. Evénement dont l’effet sera immanquablement amplifié par une mini-tournée de concerts affichant les mêmes interprètes sur le même thème à Bruxelles et Paris.

Roger Tellart

Cecilia Bartoli / Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini
Théâtre des Champs-Elysées
Les 20 (20h) et 22 novembre (17h) 2009

(1) Decca 4781521 DX2

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Photo : DR
 

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