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Compte-rendu - 20e Festival d’orgue de Saint-Eustache - L’orgue à l’heure de la modernité
À mi-course de ce XXème Festival, Jean Guillou reprit la main pour le deuxième de ses trois concerts de l'édition 2009 – il refermera la manifestation le 9 juillet avec Zuzana Ferjenčiková à l'orgue, lui-même étant au piano.
En définitive « romantique » et placé à maints égards sous le signe du chant, le programme de ce 6ème concert s'est ouvert sur un hommage très personnalisé à l'un des maîtres de l'année : Haendel. Transcrit pour orgue seul par Guillou et lancé sur un intraitable tempo Allegro, le Concerto pour orgue et orchestre en si bémol op.7 n°3 fut avant tout le prétexte à composer en l'honneur de Haendel – en lieu et place du deuxième mouvement indiqué Organo ad libitum (Adagio e Fuga), sous-entendu : improvisé – un diptyque répondant aux vœux de Haendel, « dans son style », autant que faire se peut et ainsi que Jean Guillou l'annonça, en réalité suffisamment en harmonie pour s'intégrer et singulier pour marquer la distance d'un tel hommage, d'une difficulté assurément jamais associée par Haendel à l'orgue : Adagio d'une grandiose éloquence, Fuga d'une redoutable complexité.
La deuxième œuvre fut aussi insolite que probante, Guillou ayant proposé avec son invité, le trompettiste Thierry Caens, sa transcription des Wesendoncklieder de Wagner. D'emblée la partie instrumentale suggéra une résonance orchestrale ample et soutenue, jouant sur la riche palette des jeux de fonds de l'orgue de Saint-Eustache et un mystère d'une appréciable pondération (notamment dans les pages anticipant Isolde), cependant que la partie « vocale » se livrait à l'étonnante évocation d'un grand soprano wagnérien (quel défi si l'on songe à Flagstad !), le renoncement aux mots ne signifiant nullement pour la trompette la disparition de qualités indissociables du chant, en particulier un vibrato, au sens musical et positif du terme, donnant l'illusion d'entendre « vibrer » cette voix sans paroles dans les moments les plus intensément poétiques, au cœur de la phrase, avant de revenir à une saine égalité, diminuendo.
D'un piano/orchestre repensé à l'autre, la Pièce héroïque de Franck s'inscrivit dans une parfaite continuité : tempo mesuré, déclamation volontaire et dramatique, l'œuvre étant restituée avec force mais aussi une sobriété, y compris en termes de registrations, à laquelle on pouvait ne pas s'attendre. Cette sobriété est la marque de Guillou jouant ses propres œuvres, ce que confirma son Concerto pour trompette et orgue sous-titré Ébauche d'un souffle – euphémisme, tant l'œuvre exige du trompettiste des prodiges de maintien de la phrase à travers le souffle, précisément ! Créée en 2001 par Caens et Guillou, reprise en 2003, cette œuvre de très grande ampleur est aussi foncièrement lyrique pour le soliste, dont le registre grave est volontairement sollicité, qu'orchestralement dynamique et rythmique. Un tour de force instrumental, indéniablement, mais non moins musical, succession de climats structurés à l'écriture exigeante qui suscita l'enthousiasme d'un public séduit et impressionné. À programme original, bis inattendu s'agissant de Guillou : pas d'improvisation, tout le concert répondant aux exigences de l'écrit (à l'exemple de l'Adagio e Fuga alla Haendel), mais le Scherzo de la Deuxième Symphonie de Vierne, auquel le nom de Guillou n'est pas particulièrement associé – avant le fameux Trumpet tune de Purcell, ou de Clarke…
Changement radical de décor avec Francesco Filidei (photo), d'une maîtrise et d'une aisance littéralement confondantes, en collaboration avec l'Ircam dans le cadre du Festival Agora (enregistré par France Musique, ce concert sera diffusé le 5 août prochain à 9 h 05), entendu lors de la répétition générale. Deux grands noms du XXe siècle, des classiques sans véritable descendance possible tant la démarche est ici génératrice d'œuvres uniques, encadraient ce programme : Ligeti avec son Ricercare sous-titré Omaggio a Girolamo Frescobaldi (1953), page pure et décantée, d'une sobre et bienfaisante plénitude, puis Coulée (Étude pour orgue n°2, 1969), continuum d'une « mobilité statique » forcenée, à un immense et progressif crescendo répondant un déplacement graduel et serré vers l'aigu. En fin de programme, Filidei reprit l'un des monuments de l'orgue contemporain : Gmeeoorh de Xenakis (« anagramme libre d'organon », 1974) : vingt minutes d'un déluge fabuleusement organisé, avec de colossales sections de clusters sur le tutti de l'orgue (et toute l'étendue des claviers : un test redoutable pour les poumons de l'instrument !), déroutant et subjuguant, la dernière minute étant littéralement ahurissante : à vivre.
Entre ces pages plus ou moins entrées au répertoire, Filidei fit entendre trois œuvres contrastées, dont deux créations. Tout d'abord l'envoûtant Cloudscape (2000) du Japonais Toshio Hosokawa (né en 1955), d'une intense beauté, sereinement déployé dans une captivante diversité d'éclairages, l'orgue évoquant différents types de Shô, l'orgue à bouche japonais. Vint ensuite la création de la nouvelle version de Ferner, und immer ferner (« Plus loin, et toujours plus loin ») du compositeur allemand Philipp Maintz (né en 1977), partiellement formé à l'Ircam, pièce d'une envergure considérable, une infinité de microsections d'une féroce mobilité et fractionnées s'inscrivant dans une structure générale monumentale et unifiée, à grand renfort de virtuosité transcendante : le fait de voir jouer l'interprète à la console de la nef renforce naturellement pour l'auditeur-spectateur (à l'instar de Gmeeoorh) l'impact de ce type d'œuvres « démesurées ».
L'autre création, tout simplement magique, fut Vox Humana de la Coréenne Hyun-Hwa Cho (née en 1977) sur une installation vidéo de Raphaël Thibault (né en 1980). Assuré par l'Ircam, ainsi que lumières et projection, le traitement informatique en temps réel de l'orgue a nécessité le placement de onze micros disséminés dans les buffets de l'instrument, cependant qu'un immense écran au format 16/9, montant jusqu'à la base du buffet de positif, occupait toute la largeur de la nef : deux corps, un homme puis une femme, dans un décor mi-« réel » mi-abstrait rehaussé d'images de synthèse et d'animation 3D – abyssale nef virtuelle prolongeant celle de Saint-Eustache – pour 13 mn de pureté décantée. La composition musicale, strictement parallèle et millimétrée – ou l'inverse – « s'attache à faire naître une parole de l'instrument, véritable Vox Humana qui émerge à la frontière ambiguë entre le son électronique et le son acoustique. L'unité est rendue possible grâce à la richesse sonore de l'orgue de Saint-Eustache – qui se déploie jusqu'au 9ème harmonique – et à un travail de synthèse vocale, notamment, faisant écho au jeu d'orgue ancien vox humana qui cherchait déjà à imiter la voix humaine » (Hyun-Hwa Cho). L'œuvre s'achève dans une douceur extrême, les ordinateurs seuls, ayant gardé « en mémoire » la voix de l'orgue, distillant en forme d'écho les dernières couleurs de l'instrument. Fabuleux.
Michel Roubinet
XXe Festival des Grandes-Orgues de Saint-Eustache, Paris, concert du 11 et répétition (le 15) de celui du 16 juin 2009
Sites Internet :
ARGOS (Association pour le Rayonnement des Grandes-Orgues de Saint-Eustache) & Festival :
http://www.orgue-saint-eustache.com/Festival.htm
Jean Guillou :
http://www.jeanguillou.org/
Thierry Caens :
http://thierrycaens.com/index/
Festival Ircam – Agora (concert du 16 juin) :
http://agora.ircam.fr/ago2009_jourparjour.html?date=20090616&event=760
Francesco Filidei :
http://brahms.ircam.fr/composers/composer/21883/
Toshio Hosokawa :
http://brahms.ircam.fr/composers/composer/1667/
Philipp Maintz :
http://www.philippmaintz.de/index2.html
Hyun-Hwa Cho :
http://brahms.ircam.fr/composers/composer/21900/
Raphaël Thibault :
http://www.arcadi.fr/artistesetoeuvres/texte.php?id=548
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Photo : DR
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