Journal
Compte-rendu - Aldo Ciccolini au Festival de Montpellier - Tendresse et envoûtement
La fidélité du public montpelliérain à Aldo Ciccolini n’est plus à souligner et les mélomanes se sont mobilisés d’autant plus massivement que le récital de celui qui fêtera son 84e anniversaire dans peu de jours constituait son unique apparition en concert durant le 25e Festival de Radio France – pédagoque passionné, Ciccolini y est toutefois présent jusqu’à la fin du mois de juillet pour une désormais rituelle série de masterclasses. Mozart et Debussy, deux auteurs particulièrement chers au cœur de l’interprète, ont été les complices d’un inoubliable moment dans la salle Berlioz du Corum.
Thème du mouvement initial de la Sonate KV 331 énoncé, pardon chanté, mezza voce : quelques secondes de musique suffisent à abolir la froide immensité du lieu pour créer une relation d’intimité entre la musique et chaque auditeur. Privilège de l’âge que de parvenir à une interprétation aussi pure, simple, empreinte d’évidence et d’une tenue stylistique irréprochable. Dans la Sonate « alla turca », comme dans la Sonate KV 333 qui lui succède, l’interprète n’a de cesse de rappeler qu’au piano comme partout l’amour du chant domine chez Mozart. Tout paraît si fluide, si facile… et pourtant que d’heures et d’heures encore de travail pour parvenir à cette justesse des accents, cet intelligent relief du discours qui stimule continûment l’attention et apporte une stimulante fraîcheur à des pages archi-rebattues. Que d’émouvante tendresse surtout dans une interprétation qui touche à l’essence même de la musique.
Les Embryons desséchés de Satie étaient inscrits au programme, en début de seconde partie : Ciccolini a finalement décidé de biffer cet anecdotique triptyque pour ne dialoguer qu’avec des chefs-d’œuvre. Bien lui en a pris car ainsi, sorti de Mozart, l’auditoire se trouvait immédiatement plongé après l’entracte dans le Livre II des Préludes de Claude Debussy. Un ensemble plus disparate que le Livre I, mais que l’artiste explore avec un prodigieux sens des caractères. A ce sujet, ses propos dans une interview qu’il nous a offerte il y a quelques mois me revenaient en mémoire. Evoquant le travail avec ses élèves, le maître disait en substance admettre une fausse note mais ne pas tolérer « une couleur loupée ».
Cette exigence, Aldo Ciccolini l’applique d’abord à lui-même et l’on reste tout simplement médusé face à la justesse de la palette sonore qu’il déploie dans les Préludes. Tout concourt à ce que la chimie harmonique debussyste opère à plein, qu’il s’agisse des climats étranges et teintés d’anxiété des Brouillards, des Feuilles mortes et des Bruyères. D’une Puerta del vino où l’âpreté se conjugue idéalement à des inflexions très mauresques, ou encore de l’humour grinçant de General Lavine-eccentric et de l’Hommage à S. Pickwick, d’exquises fées d’une impalpable poésie, tout comme Ondine, miraculeuse de fluidité. Le mystère de La terrasse des audiences ou de Canope – quel magique silence à son terme avant d’entamer les tierces… - est digne d’une des « Stèles » ou des « Peintures » de Victor Segalen, tandis que Les tierces alternées et les Feux d’artifice savent qu’il n’est de virtuosité que d’ordre poétique chez Claude de France. Un pur envoûtement…
Triomphe et trois bis (Nocturne op 62 n°1 de Chopin, Evocación d’Albeniz et une sonate de Scarlatti). Les élèves qui s’apprêtent à participer aux masterclasses d’Aldo Ciccolini étaient sûrement présents au Corum. Sacré privilège que les cours qui nous attendent, ont-ils pu se dire ! Celui d’assister à ce récital n’était pas mince non plus.
Alain Cochard
Montpellier, Festival de Radio France, 26 juillet 2009
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