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Compte-rendu - Beethovenfest de Bonn - Beethoven invite Wagner
Qu’on est loin de l’énergie vibrante de Beethoven, que fête tout ce mois sa ville natale, avec la chute du pauvre Tannhäuser, ballotté au gré des tentations et des hasards, fétu romantique déchiré par une tourmente typique de son temps : un cas d’école dirait-on. Et quel contraste entre l’ascension de l’individu, au sein de la souffrance qu’un récital comme celui de Maurizio Pollini passant de la 4e sonate à l’Appassionata a rendue si exaltante, et la déglingue de Tannhäuser porté par sa boulimie de vie à des excès qu’il ne parvient pas à gérer. Intéressante vision que l’Opéra de Bonn inscrit en ouverture de sa saison, et qui offre un étrange contrepoint à l’ascèse beethovénienne.
Sombre regard en effet que celui porté par Klaus Weise, superintendant de l’opéra de Bonn et metteur en scène du spectacle, sur le drame du chevalier : la chair y est lourde, dure, sinistre, et les charmes de Vénus montrés avec une provocation qui fait du sexe le pire enfer. De belles idées, ainsi cette harpe qui lui sert à la fois de lit et de tige autour de laquelle elle s’enroule comme les stripteaseuses, contrastent avec la cruauté des femelles morbides qui peuplent le Venusberg, sexe et seins outrageusement exposés, comme un mortel jeu de carte. Quant à l’amour pur d’Elisabeth, on l’a voulu ambigu puisque la douce héroïne est ici montrée comme un objet charnel, nappée de rouge soutenu de fines bretelles, le décolleté avantageux fortement souligné - « il y a du bois devant la maison », comme disent les Allemands en pareil cas. Et tandis qu’elle se consume dans l’attente du retour de Rome, on la voit en proie aux affres du désir le plus explicite.
Tout comme les concurrents de Tannhäuser lors du fatal concours de chant, lesquels sont eux aussi touchés par les poisons de Vénus, alors qu’un obscène défilé de femelles nues et coiffées de mitres les encercle. L’idée maîtresse étant que les deux formes de l’amour ne sont que l’avers et le revers de la même aspiration, et que les séparer mène au désastre. Apothéose glauque, le tableau final montre Vénus ployée sur le cercueil d’Elisabeth tandis que tournoie un filet empli de corps nus, ravagés.
Impressionné, le public a acclamé les solides protagonistes de cette production troublante, soudés par la violence dynamique de la baguette de Stefan Blunier : du Tannhäuser déchaîné de Scott MacAllister à la Vénus de Daniela Denschlag, attachée à sa proie comme une goule, et portant avec vaillance les emblèmes d’une nudité grassement soulignée, au clair et puissant soprano d’Ingeborg Greiner, ardente Elisabeth aux multiples visages.
Mais Dieu que la chair est triste, comparée au clair piano beethovénien qui envahit la ville en ce mois de septembre. Ici, toute la gamme des tourments humains que le compositeur osa le premier livrer avec autant de véhémence sur un clavier, est parcourue avec une franchise totale, et veut trouver une issue aux plus cruels conflits. Maurizio Pollini, en plein équilibre, l’a visitée avec l’honnêteté qui le caractérise, montrant comment la lumière mozartienne des premières sonates peut se métamorphoser en orages dans les ultimes. Son jeu, d’abord un peu brouillé par l’acoustique réverbérante de la salle a fini en grondement irrésistible devant un public soulevé d’enthousiasme. Et surtout médusé par ce raccourci d’une vie intime en quatre sonates, les nos 4, 11 17 et 23.
Moments forts d’un festival dont le succès va croissant- près de 50.000 spectateurs cette session-, et qui multiplie les angles d’approche beethovéniens, avec des têtes d’affiche telles Valery Gergiev, Gustavo Dudamel et Paavo Järvi, Christian Tetzlaff et Andreas Staier, et de jeunes formations comme le Kuss Quartet et l’Australian String Quartet. On y emprunte aussi des chemins de traverse qui font voisiner classique et hip hop ! Enfin, une curiosité : Alfred Brendel en diseur de poèmes, le 1er octobre, accompagnant le violoncelle de Brendel fils dans Bach, Britten, Kurtag et Kagel . Il ne manque désormais qu’une chose à l’essor de cette riche manifestation : la construction de la salle qu’elle mérite, le nouveau Beethoven Festspielhaus Bonn pour lequel quatre architectes vedettes sont en compétition : décision l’an prochain !
Jacqueline Thuilleux
Festival Beethoven de Bonn, les 18 et 19 septembre, le festival se poursuit jusqu’au 3 octobre 2009
http://www.beethovenfest.de/
Pour mieux pénétrer l’univers de Beethoven, le vivant et clair ouvrage de Christian Wasselin, avec de superbes illustrations et la vision explicitée de plusieurs pages essentielles : Beethoven, Les plus beaux manuscrits, Ed. La Martinière, à paraître le 8 octobre.
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Photo : DR
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