Journal

Compte-rendu : Edita forever - E. Gruberova en récital

Les conditions météorologiques désastreuses et les transports perturbés auraient pu contrarier notre enthousiasme, mais la perspective de terminer la journée en présence de l'un des derniers monstres sacrés du chant, qui foule les plateaux depuis quarante ans, triomphe à Munich, Barcelone ou Vienne, tout en étant snobée par Paris, était plus forte.

Les fans et les curieux étaient d’ailleurs tous là, avides de voir et d'entendre la diva slovaque dont la longévité vocale et l'activité forcenée défient les lois de la nature. Accueillie par de longs applaudissements, Edita Gruberova a très rapidement chassé toutes nos inquiétudes en débutant la soirée par le diabolique air de Konstanze, "Martern aller Artern", de L'Enlèvement au Sérail. Quand tant de jeunes chanteuses choisissent de se chauffer la voix avec quelques compositions prudentes, leur aînée s’est lancée sans crainte dans les vocalises mozartiennes, accrochant les notes, maîtrisant souffle, nuances forte/piano et ligne de chant, comme si le nombre des années n'avait aucune prise sur son instrument resté souple et étonnamment juvénile à soixante-trois ans passés.

Après ce premier exploit vocal et un intermède consacré à Ermanno Wolf-Ferrari interprété avec fougue, comme l'ensemble de ce concert, par l'Orchestre Philharmonique d'Oviedo placé sous la direction de Friedrich Haider, la Gruberova était de retour avec l'un de ses chevaux de bataille, la scène folie de Lucia di Lammermoor, oeuvre qu'elle interprète depuis plus de trente ans. Si la caractérisation du personnage, mentalement détraqué, était traduite à gros traits - la finesse psychologique n'a jamais été le fort de la cantatrice - et quelques sons boursouflés en guise de grave, le public recueilli et silencieux a pu assister à une vraie leçon de chant. Tout était là pour le séduire, cette connaissance des règles du bel canto, l’épater, ce volume impressionnant et ces aigus puissants qui remplissaient le théâtre et faisaient vibrer les murs, le dialogue aérien avec la flûte et ses contre-notes tenues, infrangibles, agissant comme des moments surhumains accomplis avec une facilité déconcertante. Délire dans la salle, satisfaction de l'artiste.

Avant de retrouver Donizetti, Edita Gruberova avait choisi d'exécuter le final d’Il Pirata de Bellini, "O s'io potessi" ; malgré l'aplomb vocal, la résistance et le courage de la cantatrice, il a bien fallu reconnaître que la tessiture d'Imogene ne tombait pas exactement dans les plis de cette voix d'essence colorature, même si celle-ci a su s'arrondir et gagner en épaisseur avec les années. Mise à rude épreuve dans le bas medium et le grave qui manquait de chair, l'artiste s'est employée à masquer cette absence par d'étranges effets de bouche, suppléés par de belles envolées vers le registre aigu, toujours contrôlé et plantureux. L'auditoire attendait avec impatience de retrouver sa diva dans son arbre généalogique, celui de Roberto Devereux, pièce maîtresse de son répertoire avec Lucrezia Borgia. Dans cette longue et étreignante scène finale, la musicienne dominant parfaitement ses moyens, a livré un moment d'anthologie, laissant libre court à son inspiration (la détresse d'une femme et non plus d'une reine), se jouant de sa technique, filant les aigus, chantant pianissimo, rattrapant les notes comme une balle au bond, trillant, caressant, nuançant pour mieux communiquer avec le public subjugué par cet art, enflammé et comme régénéré par cet échange musical.

La cabalette " Quel sangue versato", conclue par un contre-ré royal, était à peine envolée que la salle manifestait bruyamment son bonheur ; fleurs, cris, remerciements et un premier bis, "Spiel ich die Unschuld vom lande " de La Chauve Souris, moment de légèreté et de fantaisie pour la cantatrice qui en concédait un second, "O luce di quest'anima" de Linda di Chamounix, Donzetti toujours, déclinant la proposition du public qui réclamait Zerbinetta, chanté avec une décontraction et un plaisir évidents. Conquise, Edita Gruberova revenait une nouvelle fois sous les applaudissements avec La Chauve Souris, pour répondre à la demande de Dominique Meyer et à l'attente du public. Une soirée inoubliable qui rappelait la venue, elle aussi tardive, d’un autre astre du chant, Joan Sutherland, qui avait transporté le TCE avec une ultime Lucrezia Borgia concertante, il y a tout juste vingt ans.

François Lesueur

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 17 décembre 2009

Programme du Théâtre des Champs-Elysées

Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article.

Lire les autre articles de François Lesueur

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles