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Compte-rendu : Espagne / Lulu au Liceu de Barcelone - Patricia Petibon époustouflante
Coproduction du Grand Théâtre de Genève et du Liceu de Barcelone, Lulu mise en scène par Olivier Py (un spectacle présenté à Genève en février dernier) pénètre au cœur d’un fascinant univers, volcanique et incandescent. Le regard porté sur l’opéra inachevé de Berg - complété par Friedrich Cerha en 1979 - participe d’une logique théâtrale, entre sexe, passion et rédemption, défendue depuis de nombreuses années par l’actuel directeur de l’Odéon.
Les décors de Pierre-André Weitz, surlignés par des couleurs agressives proches de celles des peintres expressionnistes, superposent plusieurs actions (à la manière des Soldats de Zimmermann ou encore du roman La Vie, mode d’emploi de Pérec) dans un chassé-croisé au premier acte rappelant l’ambiance de Cabaret. Dans ce monde impitoyable de cruauté et de bassesse, la Lulu de Patricia Petibon crève l’écran par l’identification à cette femme fatale livrée in fine à la solitude intérieure et broyée par la machine tout autant inexorable que dévorante de la Société et de sa Morale.
Sa voix, qui a gagné en ampleur, se moule dans ce rôle de soprano dramatique sans perdre son caractère colorature dans les aigus si redoutables qu’elle projette sans mollir. Tour à tour provocante dans son collant noir à l’acte I puis sensuelle en robe du soir au II, elle achève, libre et prostituée, son chemin de croix dans la misérable chambre londonienne de Soho près d’un cinéma pornographique, crucifiée par Jack l’Eventreur déguisé en Père Noël. Sa Lulu, émouvante de sincérité jusqu’à un désir de sainteté enfin assouvi, est un tour de force.
Très homogène, le reste de la distribution joue également le jeu du théâtre et de la musique. Le Dr Schön (également Jack l’Eventreur) d’Ashley Holland possède une voix lyrique pleine d’humanité qui sait s’adonner au sprechgesang, tandis que son fils Alwa (Paul Groves) répond parfaitement au caractère volontiers léger et obstiné du personnage. En Schigolch « père-souteneur », Franz Grundheber est criant de vérité, la comtesse Geschwitz de Julia Juon d’une ambiguïté sans excès. On notera aussi la bonne tenue vocale de Robert Wörle (en Prince, Marquis, Majordome, Professeur), de Will Hartmann (Peintre, Nègre), de Andreas Hörl (Dompteur, Athlète) ou encore la sensibilité adolescente de Silvia de la Muela (l’étudiant, le groom).
Directeur musical du Liceu, le chef allemand Michael Boder à la tête de l’Orchestre Symphonique du Grand Théâtre, témoigne d’une précision soucieuse d’équilibre entre fosse et plateau. La rigueur et la clarté de sa direction, les contrastes qu’il sait ménager entre drame et sensualité tout au long de la progression du récit, le soin apporté aux alliages de timbres sont d’une fidélité exemplaire à l’œuvre comme l’ensemble d’une représentation marquée par un rôle-titre très convaincant.
Michel Le Naour
Berg : Lulu - Barcelone, Grand Théâtre du Liceu, 10 novembre 2010
Programmation du Gran Teatre del Liceu : www.liceubarcelona.com/
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Photo : DR
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