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Compte-rendu : Festival d’Ambronay - La Pellegrina magistralement revisitée par le Capriccio Stravagante de Skip Sempé

En cette fin de XVIème siècle, les Médicis ont promu à Florence une politique culturelle d’apparat en chefs de file de la cause humaniste qui enfièvre alors l’Italie. Une apologie de la représentation, cette composante majeure de la problématique baroque, s’y met en place et mêle intermèdes musicaux con suoni, canti e balli au déroulement des pastorales et tragi-comédies à la mode (l’Aminta du Tasse comme le Pastor Fido de Guarini).

Apparue en 1539, la tradition des Intermèdes traverse tout le Cinquecento florentin, intimement liée aux événements civils - mariages, naissances - de l’illustre maison. Aussi bien, ce type de divertissement devient toujours plus élaboré au fur et à mesure qu’on avance dans le siècle, pour culminer dans les intermèdes de la Pellegrina, montés en mai 1589 à l’occasion du mariage de Ferdinand de Médicis avec Christine de Lorraine et destinés à accompagner la comédie éponyme que Girolamo Bargagli écrivit en la circonstance. Au-delà, ce mariage est à mettre en relation avec un drame resté mystérieux. Car deux ans auparavant, François de Médicis, Grand-duc de Toscane et frère aîné de Ferdinand, avait été retrouvé mort avec sa femme, la belle Bianca Capello. L’opinion publique soupçonna alors Ferdinand d’être l’auteur de ce double meurtre qui attira, entre autres, ce commentaire acerbe de l’ambassadeur d’Espagne à Florence : « les Médicis sont devenus de petits Ottomans, qui s’entretuent à la manière des Turcs ».

Pour en revenir à la musique, on ajoutera que les intermèdes de la Pellegrina dominent toute l’histoire du genre, de loin les plus aboutis jamais représentés à la cour médicéenne. S’agissant d’un véritable état des lieux qui dit les avancées de la musique du temps sur le chemin de la modernité, la mouvance madrigalesque y côtoyant en fait les expériences monodiques chères aux réformateurs de la Camerata, tous acquis à l’idée du verbe (ainsi des contributions de Caccini, Cavalieri et Peri, ce dernier aux accents pré-montéverdiens dans la plainte vrillante de l’Arione).

Confrontés à ce monument prémonitoire du Seicento, Skip Sempé et son équipe virtuose du Capriccio Stravagante, renforcée par le jeune chœur Pygmalion de Raphaël Pichon, savent imagination garder. Pour autant, leur relecture, hardie, colorée et même parfois bigarrée, ne tourne jamais à l’aventure, approche d’un « passeur » fervent entre une fin de Renaissance opulente et un Baroque en train de naître, et déjà livré au pouvoir du mot. Certes, des noms célèbres ont précédé, également experts dans le mariage des époques (Van Nevel et ses gens d’Huelgas, au chant d’ensemble impeccable, mais sensiblement plus timides dans le pressentiment de l’idée monodique, vecteur du stile nuovo). Reste que dans la fusion des affetti, Sempé est insurpassable, avec un son vraiment novateur et fédérateur.

Et puis, il y a le soin apporté au choix des chantres solistes : le soprano à la fois charmeur et impérieux de Céline Scheen, l’une des valeurs sûres de l’actuel concert à l’ancienne, et les ténors déliés de Jean-François Novelli et de Stephan Van Dyck, celui-ci Arion émouvant et crédible dans l’intermède signé par Peri. En tout cas, la présente exhumation a tourné à la fête dans une abbatiale archicomble, temps fort parmi bien d’autres, de cette stimulante édition-anniversaire (la 30ème) qui confirmait le rôle majeur d’Ambronay dans le concert festivalier de l’Hexagone.

Roger Tellart

Festival d’Ambronay, 4 octobre 2009

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Photo : DR
 

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