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Compte-rendu : L’Art perdu ? - Fortunio d’André Messager à l’Opéra Comique
Remonter Messager, c’est convoquer tout un art qui s’est évaporé. La courageuse reprise de Fortunio par l’Opéra Comique, où l’ouvrage avait vu le jour le 5 juin 1907, n’échappe pas à cette difficulté, et tout d’abord l’orchestre.
Certes la salle est naturellement sonore, mais Messager a écrit son ouvrage pour celle-ci précisément. Que Louis Langrée confonde dans la partie de boule le brillant et le bruyant n’est qu’anecdotique, d’autant qu’il délivre un très beau Quatrième acte, le plus lyrique de tous, avec sa délicieuse fin de comédie où le compositeur abandonne le drame sentimental, changeant avec malice et dextérité son fusil d’épaule en quelque sorte au dernier moment. Mais n’est-ce pas plutôt que la phalange remplit trop la fosse, est trop fournie, et aussi que l’Orchestre de Paris, rompu au tohu-bohu symphonique, a bien du mal à endosser les habits du théâtre lyrique ?
Plus vraisemblablement c’est aussi l’ignorance des codes esthétiques de ce demi-genre –comme on parle de demi-monde – propre quasiment à l’auteur, entre opérette et comédie lyrique (Messager indique expressément « comédie lyrique ») et opéra tout court. Et plus qu’un demi-genre, n’est ce pas avant tout un ton, une manière ?
Si l’orchestre court après cette chimère, le plateau la rattrape souvent : formidable Landry, éméché et bravache de Jean-François Lapointe qui met beaucoup d’arrière-plans – désillusion, philosophie du renoncement – à son caractère, Clavaroche hâbleur, mordant et ironique de Jean-Sébastien Bou, Maître André en grand théâtre, parlant plus juste qu’il ne chante, selon l’inusable Jean-Marie Frémeau, admirable Maître Subtil d’un Jérôme Varnier au chant affûté, toute une théorie de silhouettes (avec épaulettes, les lieutenants de Philippe Talbot et de Jean Teitgen, ou sans, la délicieuse Madelon de Sarah Jouffroy) et une vraie trogne, le Guillaume fiancé de Morphée d’Eric Martin-Bonnet.
Depuis ses Lenski de Salzbourg on sait que Joseph Kaiser a la voix du Bon Dieu, mais où-a-t-il été pêcher ce français parfait ? L’incarnation est décidément émouvante, grand garçon benêt que l’amour vient faire vaciller, composition admirable tenue avec beaucoup d’art. Certains trouveront à Virginie Pochon encore un peu de citron dans ses aigus, mais le style est là, et le personnage aussi (quoique Jacqueline pourrait être plus coquine), et surtout le ton que toute une théorie de divette parisiennes – dont Yvonne Printemps ne fut pas la moindre – ont su y mettre, faisant oublier les affres d’une Marguerite Carré, la créatrice omnipotente de l’Opéra Comique.
Des décors volontairement banals et assez gris et morts, signés Eric Ruf (sinon la chambre dans la forêt au IV), une direction d’acteur très (trop ?) simple, uniquement de comédie, même lyrique, déçoivent un peu. On espérait que Denis Podalydès tirerait plus vers les ombres de Musset et ne se laisserait pas emprisonner par les vers de mirliton tombés des plumes lourdes de Gaston Cavaillet et Robert de Flers, mais apparemment l’esprit potache est irrésistible, même, et surtout pour un Sociétaire du Français.
Jean-Charles Hoffelé
André Messager, Fortunio – Paris, Opéra-Comique, le 10 décembre, puis les 14, 16, 18 et 20 décembre 2009
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Photo : DR
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