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Compte-rendu : Le Baroque nomade à la Cité interdite
Sur la route de la soie et des épices, le mélomane friand d’imprévu ne sera pas surpris de rencontrer les intrépides voyageurs du Baroque Nomade, toujours curieux d’échanges et de métissages stimulants (ils étaient, voici un an, les acteurs de noces tziganes et transylvaines bigarrées, au cœur du XVIIème siècle - Voir la vidéo).
Aujourd’hui, invité à réinventer avec son ensemble un concert baroque à la Cité Interdite de Pékin, Jean-Christophe Frisch (photo) a eu, une fois de plus, la main heureuse avec la chanteuse Wang Weiping, également virtuose de la pipa, ce luth atypique et poétique, et Shi Kelong qui ajoute à un rare talent de chanteur et de percussionniste une impressionnante érudition de lettré.
Mais d’abord, quelques points d’histoire. Ce sont les navigateurs portugais qui ont abordé les premiers en Asie orientale, précédant de peu les premiers missionnaires, tel le Père Matteo Ricci qui arrive à Macao en 1582 et, de là, gagne le continent chinois l’année suivante. Dès lors, musique et instruments sont au carrefour des cultures et joueront un rôle très important dans l’évolution des répertoires (cf. l’étonnante passacaille du même Ricci sur une basse obstinée).
A sa suite, d’autres religieux européens séjournent ou se fixent en Chine jusqu’à la fin du Siècle des Lumières. Ainsi Tomé Pereyra (1645-1708) qui fait construire un grand orgue à Pékin, cependant que le lazariste Teodorico Pedrini (1671-1746), compositeur et claveciniste de renom, y écrit des sonates à l’italienne (on remarquera que cet activisme missionnaire tourne souvent à la confrontation entre jésuites et lazaristes).
En tout cas, tout au long de la programmation, le Baroque Nomade se révèle un interlocuteur parfaitement fiable. Disons qu’un véritable atelier fonctionne ici, qui associe le questionnement musicologique au travail sur le terrain entre protagonistes chinois et européens. Et le savoir-faire de Jean-Christophe Frisch, maître d’œuvre du projet (et par ailleurs flûtiste ailé) fait le reste, en collaboration avec le sinologue François Picard, instrumentiste plein d’imagination dans ses interventions à l’orgue à bouche.
Dans une expérience aussi stimulante, tout serait en fait à citer : les emprunts au fonds baroque transalpin (précisément les Sonates de Pedrini qu’on vient d’évoquer, seul manuscrit de musique occidentale conservé à la bibliothèque nationale de Pékin) et, bien sûr, les adaptations de musique chinoise traditionnelle. Parmi celles-ci, on distinguera les Divertissements chinois du Père Joseph-Marie Amiot (1779) : un jésuite qui vécut quarante ans à Pékin et fut un « passeur » d’idées et de procédés, à l’aise dans l’art de la transcription instrumentale (les musiques révolutionnaires lui doivent d’avoir adopté le gong, entre autres). Ou les hymnes sur des vers du poète Wu-Li (1631-1718), converti au christianisme par les jésuites de Macao.
Enfin, on se gardera d’oublier les mérites de l’interprétation, fruit d’une patiente alchimie entre deux univers sonores divergents. Avec, dans le camp sinisant, les fortes personnalités de Shi Kelong et de Wang Weiping déjà saluées et, dans les effectifs fondateurs du Baroque Nomade, le soprano de Cyrille Gerstenhaber qui triomphe des pièges d’un chant souvent périlleux.
Roger Tellart
Paris, Cité de la musique, 1er décembre 2009
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Photo : DR
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