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Compte-rendu : Le Viol de Lucrèce au Angers-Nantes Opéra - Le drame à nu
Moins connu et joué que Peter Grimes ou Billy Budd, Le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten( opéra de chambre créé au Festival de Glyndebourne le 12 juillet 1946) possède une portée dramatique étayée par des moyens musicaux d’une finesse expressive souvent immatérielle. Cette production venue de l’Opéra Studio des Flandres et donnée avec l’excellent Ensemble Da Camera (une formation à géométrie variable constituée de treize remarquables musiciens), dans une mise en scène volontairement dépouillée de Carlos Wagner (décor et costumes de Conor Murphy), rend à l’œuvre ses véritables dimensions. Se dégagent l’héroïsme (la lutte de libération des Romains contre les Etrusques), le caractère psychologique (le viol de Lucrèce par Tarquin), la connotation religieuse (la rédemption chrétienne de Lucrèce par sa propre Passion). La force de conviction s’appuie sur une dramaturgie minimale (un décor unique limité à quelques accessoires évolutifs, des mouvements d’acteurs savamment dosés dignes d’un grand homme de théâtre, des éclairages surlignant la progression de l’action).
La réussite tient tout autant à la qualité des voix qu’à la direction nette, franche, précise et fine du Britannique Mark Shanahan (déjà remarqué en mai et juin derniers dans L’Affaire Makropoulos), toujours soucieux de l’équilibre entre la fosse et le plateau. Dans le rôle-titre, la soprano Delphine Galou, souple comme une liane, impose un personnage sensible qui, sans posséder le rayonnement des grandes Lucrèce, n’en fait pas moins passer émotion et sens musical. Les autres personnages féminins (la soprano Katherine Manley en Lucia, la mezzo Svetlana Lifar pour Bianca), très investis, sont partie prenante de la tragédie qui se déroule sous nos yeux. On remarque l’excellent Junius d’Armando Noguera, baryton à la voix puissante, bien timbrée et profonde, et dans le rôle de Tarquin, Benedict Nelson aux aigus limités mais d’une violence impressionnante lors de la scène du viol. Spectateurs et narrateurs de la tragédie qui se déroule devant nous, le Chœur masculin de Robert Murray et le Chœur féminin de Judith Van Wanroij, assis sur leurs chaises, réussissent, par leurs gestes signalétiques et l’intensité vocale, à susciter cette tension présente continûment dans la partition.
Par une véritable fusion entre musique et théâtre, ce spectacle abouti rend justice à un Britten à la fois intime et tragique.
Michel Le Naour
Britten : Le Viol de Lucrèce - Angers, Grand Théâtre, 30 janvier, dernière représentation le 1er février 2011
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Photo : DR
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