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Compte-rendu : Louise à l’Opéra du Rhin - Le poids des parents

Comme l’indique son sous-titre, Louise a été conçue d’emblée par le jeune Gustave Charpentier encore pensionnaire à la Villa Medicis à Rome comme le Roman musical de la libération de la femme du joug parental. C’est à ce titre, que ce chef-d’œuvre de l’Opéra Comique a pu connaître durant plus d’un demi-siècle un incroyable succès auprès de ce que certains désignent, non sans un évident mépris, comme le « petit peuple de Paris », celui des « cousettes » des grandes maisons de couture.

C’est là, en tout cas, que se produit toujours l’improbable rencontre de la « haute » et des humbles, sur fond d’un Paris coquin, libertaire et bohème regardé du haut de Montmartre. Pas une seule petite couturière à domicile de nos provinces, qui n’ait chanté dans l’entre-deux-guerres « Depuis le jour où je me suis donnée », l’air porte-drapeau popularisé par la grande Ninon Vallin dans le film éponyme d’Abel Gance. Ca n’est plus seulement de l’opéra, mais de l’Histoire de France. Telle est donc la toile de fond obligée de toute mise en scène de Louise dont la création a ouvert le XXe siècle en février 1900 au côté d’une autre petite parisienne, Mimi de La Bohème de Puccini. Mais Louise, elle, est une gagnante. Elle n’est pas vouée à la mort comme ses sœurs Marie Duplessis, alias la Traviata, Carmen ou la pauvre Mimi. C’est une tranche de bonne et belle vie à laquelle on ne touche pas impunément. Telle est l’expérience douloureuse que fait le metteur en scène Vincent Boussard dans la nouvelle production qu’il en signe à l’Opéra du Rhin. Au nom d’un universalisme proclamé, il jette par dessus bord la présence de Paris : hors d’ici tout pittoresque !

On peut certes éviter de nos jours le naturalisme pesant, voire transposer de 1900 à 1960, mais faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain parisien ? Aller jusqu’à supprimer le couronnement de la Muse de Montmartre et plus d’une note au passage ? Louise a une petite sœur chez les santons de Provence, c’est la petite Mireille, poings et mains liés elle aussi à l’odeur des mûriers, à la violence du Rhône et au désert de la Crau… Les priver de leur cadre familier, même transposé, revient à couper Carmen de sa fabrique de cigares et des arènes de Séville. Cela étonne de la part d’un metteur en scène qui a l’expérience de la démarche baroque où la religion de l’authentique vous fait compter le nombre des bougies.

Le tableau initial et final est bien venu – c’est le même : l’appartement des parents – dans son dépouillement avec l’immense fenêtre qui laisse deviner les lumières de la grand’ ville. Mais pourquoi infliger à Julien un balcon aussi inconfortable dans sa dangereuse inclinaison ? Son malheureux interprète le ténor roumain Calin Bratescu a déjà assez de mal à entonner sa sérénade à froid ! Le décorateur va recommencer à l’acte III où les plaques métalliques symbolisant les toits de Paris accusent une pente sadique pour les chanteurs que M. Boussard confond allégrement avec les chats noirs de Steinlen… Comme c’est là que se déroulera dans un rêve de Louise le couronnement de la Muse, la mère se cassera gentiment la figure en entrant ! Mais c’est peut-être un effet d’une psychanalyse sauvage…

Quand une scénographie déstabilise, au sens propre, les chanteurs, c’est un bien mauvais signe. De fait, la distribution, manque de la plus élémentaire homogénéité, les parents l’emportant largement sur la jeune génération. Résultat : l’intérêt dramatique, et musical, se déplace de la fille, tenue par la soprano ukrainienne Natalyia Kovalova, vers la mère somptueusement chantée par la mezzo française Marie-Ange Todorovitch. Si Louise est très insuffisante, son Julien est carrément mauvais : il ne comprend rien à ce qu’il chante – le public non plus ! – et canarde joyeusement. Son ennemi naturel, le père, est confié au baryton français Philippe Rouillon, parfait comme son épouse de style et de musicalité.

Les seconds rôles comme les chœurs et la maîtrise maison sont assez bien tenus, mais inégaux en fonction des nationalités. On notera la belle prestation du ténor italien Enrico Casari en Noctambule et en Pape des fous en dépit des errements de la scénographie : on l’imagine déjà en Julien… Dernière mauvaise nouvelle : c’est l’état de jachère dans lequel se trouve l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg au terme du mandat de Marc Albrecht qui va partir pour Amsterdam. Fin connaisseur du répertoire français, Patrick Fournillier a été, en effet, impuissant à masquer les faiblesses de la phalange alsacienne qui s’est fait doubler ces dernières saisons par l’Orchestre Symphonique de Mulhouse. Le nouveau directeur de l’Opéra du Rhin, Marc Clémeur, qui vient de succéder à Nicholas Snowman va avoir du pain sur la planche !

Jacques Doucelin

G. Charpentier : Louise - Strasbourg, Opéra, 18 octobre, puis les 20, 22, 24, 31 octobre, puis à La Filature de Mulhouse, les 8 et 10 novembre 2009

www.operanationaldurhin.eu

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Photo : A. Kaiser
 

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