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Compte-rendu : Mahagonny au Théâtre du Capitole - Laurent Pelly suggestif et intemporel
Connu pour ses relectures spirituelles, son sens du théâtre et son humour dévastateur qui auraient pu limiter son champ d'action, Laurent Pelly aborde aujourd'hui des œuvres plus exigeantes et plus complexes comme Ariadne auf Naxos ou plus récemment Pelléas et Mélisande, dans lesquelles il excelle.
Une nouvelle étape vient d'être franchie à Toulouse avec Grandeur et décadence de la ville Mahagonny, qui précède de quelques mois L'Opéra de quat' sous (à la Comédie Française du 2 avril au 19 juillet 2011).
Si l'œuvre n'a rien perdu de son caractère pamphlétaire, de sa provocation et de sa virulente dénonciation d'un monde corrompu et voué à sa perte, facilement transposable dans nos sociétés de consommation actuelles, son sujet gagne à être traité avec finesse et légèreté. En refusant d'enfermer l'ouvrage dans un contexte réaliste, Pelly privilégie l'économie, composant des images suggestives et intemporelles dont l'évocation modérée de l'Amérique d'aujourd'hui colle parfaitement à la satire anticapitaliste dénoncée par Brecht.
La scénographie épurée de Barbara de Limburg évoque un bout du monde idéal pour accueillir Mahagonny, à la fois route et espace pentu, éclairé par des néons envahissants, qui rappellent les codes et les clichés de cet eldorado où règne la tyrannie de la surproduction et du plaisir. A cela s'ajoutent la présence du récitant, inquiétant M. Loyal (Magne-Havard Brekke) et l'astucieuse utilisation de pancartes-slogans destinées à renseigner le spectateur sur la scène à suivre.
Attentif à respecter la dimension divertissante de l'œuvre, le metteur en scène n’a jamais la main lourde pour aborder les passages liés au sexe, à l'alcool et au jeu et concilie habilement le message politique et social cher au "prophète du théâtre moderne". De plus sa direction d'acteur simple, fluide et sans effet, à l'exception des scènes de foule finales, impressionnantes, vues comme des manifestations confuses et contradictoires, met judicieusement en valeur les moments plus attendus et conventionnels tels que l'air de Jim, le duo avec Jenny suivi de sa mort sur une chaise électrique, tout en conservant l'idée de distanciation comme ressort dramatique essentiel.
Le jeune Ilan Volkov dirige avec ardeur et conviction cette partition déconcertante qui brasse dans un même geste endiablé les rythmes, les sonorités et les influences les plus diverses et qui finit par imposer son propre style d’un lyrisme assumé, par-delà ces emprunts et ces références.
Aux chœurs puissants et superbement préparés par Alfonso Caiani, répond une distribution inégale dominée par le Jim héroïque et touchant du ténor Nikolai Schukoff, qui trouve là son meilleur emploi (après Siegfried, Don José et Pollione à Paris) en termes de plénitude vocale, de résistance et d'interprétation. Même si Marjana Lipovsek a de beaux restes, du métier et une présence suffisamment forte pour incarner dignement Leokadia, sa voix trahit son âge et nous fait regretter un chant plus affirmé.
Chris Merritt (Fatty) chante faux et en vient à indisposer ses partenaires, Gregg Baker en particulier, qui campe un Moïse plutôt effacé dans les ensembles, alors que Roger Padullès (Jack/Tobby), Harry Peeters (Joe) et Tommi Hakala (Bill) tirent intelligemment profit de leur rôle, sans les caricaturer. Inexistante vocalement, la Jenny de Valentina Farcas ne tient pas la route et ce dès l"Alabama song", seulement honnête pendant le duo avec Jim. Le Capitole n’a évidemment pas les moyens de réunir, comme à Madrid en octobre dernier, des artistes tels que Willard White, Christopher Ventris, Jane Henschel ou Elzbieta Szmytka et d’inviter la Fura dels Baus.
François Lesueur
K. Weill/B. Brecht : Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny - Toulouse, Théâtre du Capitole, le 21 nov., prochaines représentations les 23, 26 et 28 novembre 2010.
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Crédit photo : Patrice Nin
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