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Compte-rendu : Maudite lettre - Eugène Onéguine à l’Opéra de Lille
Assurément Eugène Onéguine gagne à être défendu par de tout jeunes gens. Tchaïkovski vérifia cette équation lorsqu’Anton Rubinstein créa avec les étudiants du Conservatoire de Moscou les quatre premières scènes, puis finalement tout l’ouvrage : le compositeur avait voulu éviter de confier un sujet si intime aux fastes du Bolchoï, il n’y céda d’ailleurs que deux années plus tard.
Juvénile, ardente, la distribution habilement composée par l’Opéra de Lille l’est assurément. Elle se révèle aussi incertaine parfois de technique : voyez le Lenski de Sergei Romanovsky, admirable de lyrisme, au timbre fragile et attachant, à la voix longue mais hélas sans assez de soutien ; ou encore d’une présence pas assez affirmée comme l’Onéguine sans caractère d’Audun Iversen, voire simplement trop neutre : on espérait plus du Prince Grémine de Wojtek Smilek.
D’où vient ce léger malaise ? Certainement du fait qu’il n’est pas si aisé que cela pour les chanteurs de s’appuyer sur le geste très fluide et simple voulu par Jean-Yves Ruf. Cette pureté du trait, cette absence de second degré iraient plutôt droit au cœur de Pouchkine – et collerait à sa plume sèche, à son récit souvent lapidaire – qu’à celui de Tchaïkovski.
En un mot, pour le théâtre de Tchaïkovski, qui se déboutonne plus que la poésie de Pouchkine, le metteur en scène ne caractérise pas assez ses personnages, sinon Tatiana, admirablement servie par Dina Kuznetsova, timbre pulpeux et physique généreux, et encore en lui demandant pour le coup de trop appuyer certains traits de son jeux : cette maudite lettre oui il fallait bien l’anéantir, mais plutôt en la brûlant qu’en la déchirant comme une petite fille casserait son jouet .
Si le trio principal n’échappe pas à ce mélange d’instants chargés alternés avec autant d’absences (Lenski, les bras plus souvent ballant qu’à son tour), les seconds plans font un plateau singulièrement vivant. Louise Poole dessine une Olga souvent ambiguë (on aime et la voix et le personnage), François Piolino est formidable en chanteur chic pour party, dépoussiérant avec son talent coutumier le rôle souvent très convenu de Monsieur Triquet, en renouvelant le côté humoristique avec élégance et légèreté. Et on se doute que la Madame Larina de Marie McLaughlin fait tout un théâtre, aussi sobre que savoureux au demeurant.
Pascal Verrot dirige trop droit, au point que souvent sa battue n’arrive pas à se plier aux intentions du compositeur, les picards jouent toujours en premiers plans avec quelques bois rustiques (qui au fond iraient bien à la villégiature de Madame Larina s’ils chantaient avec plus de lyrisme), mais une des meilleures part du spectacle revient aux chorégraphies de Philippe Saire : splendide pantomime des épousailles au I, au II bal très chic et un peu décalé avec son côté années soixante, la preuve que l’on peut oser tout en conservant la grâce.
Jean-Charles Hoffelé
Tchaïkovski : Eugène Onéguine - Opéra de Lille, le 22 janvier, puis à Amiens, Maison de la Culture, les 2 et 4 février et au Théâtre de Caen, les 4 et 6 mars 2010
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Photo : DR
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