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Compte-rendu : Opéra de Lille - Dardanus reste invisible
On ne voit jamais Dardanus. Pour le Palais Garnier, Jorge Lavelli avait en 1980 enclos le merveilleux et les songes dans ses espaces noirs, cendre et grillage, spectacle au fond assez inoubliable malgré la relative débâcle musicale : une édition fautive mal arrangée par l’héroïque Raymond Leppard, escamotait entre autre le prologue ; on espérait Eric Tappy dans le rôle titre, il fut médiocrement remplacé par Georges Gautier. Mais une Iphise assez tragique (Federica von Stade), une Vénus grand teint (Christiane Eda-Pierre) qui faisait plus encore regretter le Prologue, et un trio de clés de fa percutant (Soyer, Devlin, Van Dam) redonnaient malgré les scories d’un texte frelaté, une relative seconde chance à l’ouvrage.
Il n’en avait guère eu depuis la légendaire soirée tentée par les forces de la Schola Cantorum le 26 avril 1907, lorsque D’Indy exhuma l’œuvre à Dijon, patrie du compositeur, essai qui fut loin de déclencher l’enthousiasme. Saint-Saëns pouvait bien imposer sa téméraire édition Rameau, Dardanus se rendormit jusqu’en 1998, lorsque Marc Minkowski révéla enfin son drame autant que sa poésie lors d’un concert parisien. Le disque a suivi, rendant familière à toute une génération de mélomanes l’une des tragédies majeures du Dijonnais. C’est cette même édition, version 1739 avec les ajouts essentiels effectués par Rameau lors de la reprise de 1744 (scène de la prison - « Lieux funestes » - et bruit de guerre) que présente aujourd’hui l’Opéra de Lille.
La scénographie de Claude Buchvald a certainement tort d’envisager l’œuvre a minima, son merveilleux si délicat souffre d’une ironie assez banale dont l’élément le plus emblématique reste le sort réservé au magicien : Ismenor se réfugie dans une veine un rien comique, magicien de pacotille (et Anders J. Dahlin endossant ses habits peine à rendre la substitution, réduite à un tour de passe-passe, simplement plausible). Les débats du Prologue sont ternis par une mise en espace peu inspirée, à l’acte IV le monstre n’est qu’un rideau de fond de scène que des appariteurs agitent vainement (pas mieux chez Lavelli ; un immense ballon de baudruche qui ne parvenait à se gonfler qu’in extremis, ressuscitant les dysfonctionnements qui alimentaient les gazettes du temps).
Les éclairages de Joël Hourbeigt accusent le décor cheap, pratique mais guère engageant, d’Alexandre de Dardel, et soulignent des costumes parfois bienvenus, où pointent quelques bonnets phrygiens, mais n’habillent jamais les molles chorégraphies – indigentes lorsqu’elles sont confiées au chœur par ailleurs vocalement brillant – de Daniel Larrieu. Jamais la scène n’attire l’œil, sinon par une direction d’acteur fine et plus d’une fois sentie. Seul tableau vraiment abouti le rivage que le monstre ravage, mais les songes qui suivent sont des parques tristes, sans aucune sensualité et sans aucun danger lorsque le rêve tourne au cauchemar.
Pourtant l’oreille avait son compte, même si l’orchestre vif et mordant d’Emmanuelle Haim ne trouvait guère la part noire de l’œuvre. Formidable trio de clés de fa, avec le Teucer tranchant de François Lis, plus roi que père, l’Isménor habile d’Andrew Foster-Williams et surtout l’Anténor noble, très caractérisé, de Trevor Scheunemann, parfait de diction et de style. La voix d’Ingrid Perruche s’est développée avec bonheur depuis sa Cléopâtre nancéenne, un médium prometteur la nourrit, le style y est, même si son Iphise manque d’abandon. Et Dahlin ? Assurément Dardanus est trop central de tessiture pour son haut ténor, mais paradoxalement ce furent les notes d’éclat qui lui manquèrent toute la soirée. La confrontation avec la vocalité de Jelyotte montre les limites de son instrument autant que la science de son art, mais qui mieux que lui peut aujourd’hui ressusciter le ténor ramiste ? Et son portrait du héros manipulateur restait comme il le faut ambigu jusqu’au bout.
En sortant de l’Opéra de Lille, on regrettait que la magnifique façade baroque n’ait pas investi de son style ce spectacle courageux mais inabouti, et l’on se prenait à rêver d’un nouveau Dardanus pour Garnier. Marc Minkowski et Laurent Pelly y songent-ils ?
Jean-Charles Hoffelé
Jean-Philippe Rameau : Dardanus - Opéra de Lille le 16 octobre, puis les 18, 20, 22 et 24 octobre ; ensuite le spectacle se voit au Théâtre de Caen, les 5 et 7 novembre, puis à l’Opéra de Dijon les 18 et 20 novembre 2009
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Photo : Opéra de Lille
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