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Compte-rendu : Sacre marseillais - Hamlet à l’Opéra de Marseille

Avouons-le d'emblée, ni le couple Milnes-Sutherland, ni Hampson-Anderson ou Hampson-Dessay n'étaient parvenus à me faire apprécier l'Hamlet de Thomas, resté célèbre grâce à la folie d'Ophélie, sublimée par Callas. Pompeuse et indigeste, cette adaptation shakespearienne pêchait jusqu'alors par son étrange découpage, sa faiblesse musicale et son chant issu d'une école terriblement datée. Or, la nouvelle production présentée à Marseille a dissipé toutes ces réserves.

La sincérité, la foi avec lesquelles Nader Abassi défend cet ouvrage est pour beaucoup dans cette (re)découverte ; le chef fait confiance à cette partition qu'il dirige avec scrupule et passion, mais surtout une extrême délicatesse et un véritable respect. Sa manière d'insuffler au discours une dimension surnaturelle, renforce l'unité dramatique et assure à sa progression une puissance singulière. L'orchestre sonne avec limpidité jusque dans les moindres détails - magnifique scènes de liaisons, notamment celle où s'élève le saxophone - les chœurs, souvent sollicités, donnant le meilleur d'eux mêmes.

Réunir de grandes voix n'est pas tout, encore faut-il qu'elles soient sensibles à ce répertoire, sachent l'interpréter et lui rendre justice. La distribution marseillaise est la plus belle qui soit. Tiraillé entre la vie et la mort, la raison et la folie, le désir de vengeance et le pardon, Franco Pomponi, superbe baryton italien découvert à Paris dans The Bassarids, campe un éblouissant Hamlet. Sa diction parfaite, son extraordinaire présence et son intelligence musicale, nous ont convaincu de la beauté de ce rôle multiple et complet.

Qui d'autre que la divine Patrizia Ciofi pouvait répondre à ce talentueux interprète ? Pour la soprano qui explore depuis plusieurs années l'opéra français (Lucie de Lammermoor, Les Contes d'Hoffmann, Manon, Les pêcheurs de perles, La Fille du régiment...), cette nouvelle incursion est une totale réussite. Petit oiseau blessé, sa douce et mélancolique Ophélie, sombre avec résignation vers la démence et s'enfonce lentement dans sa baignoire croyant entendre encore celui qu'elle n'a cessé d'aimer. On admire comme toujours l'adéquation entre le chant admirablement conduit, dès le duo « Doute de la lumière », riche en couleurs, en inflexions, en émotion et le jeu simple et subtil qui traduit les incertitudes d'une relation vouée à l'échec. Sommet de la représentation, la grande scène « A vos jeux mes amis » et ses pathétiques envolées, a rarement été abordée avec autant d'inspiration, de fragilité et de poignante intensité, moment d'exception qui a transporté l'auditoire. Prochaine prise de rôle annoncée : Roméo et Juliette à Bilbao.

Dirigés comme un Macbeth et une Lady inversés, Marie-Ange Todorovitch (Gertrude) et Nicolas Cavallier (Claudius) sont, malgré quelques scories vocales, aussi maléfiques qu'imposants, Christophe Berry chantant Laërte avec adresse auprès des excellents Bruno Comparetti (Marcellius), Alain Gabriel (Horatio), Antoine Normand (Polonius) et Patrick Bolleire (Spectre du roi).

L'action située dans un décor unique (Vincent Lemaire), constitué de grands murs froissés, comme l'âme d'Hamlet depuis l'assassinat de son père, savamment éclairés par Guido Levi, défile sans accroc avec clarté et sobriété (très belle apparition du spectre qui descend des cintres en marchant sur les parois comme s'il était sur le sol) soutenue par une belle direction d'acteurs signée Vincent Boussard.

Le sacre d'Hamlet et de Thomas a bien eu lieu. Il était temps.

François Lesueur

Thomas : Hamlet, Opéra de Marseille, 29 mai 2010

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Photo : Christian Dresse
 

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