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Compte-rendu : Sombre clarté - Daniel Harding dirige l’Orchestre de la Radio Suédoise
Qu’on nous pardonne l’oxymore du titre, mais c’est exactement cela : dans la beauté noire de l’Orchestre de la Radiodiffusion Suédoise luit une inextinguible lumière. Dire que la Sixième de Mahler lui va comme un gant est un pléonasme, il l’incarne simplement au point qu’on a sans cesse en l’entendant un sentiment d’évidence. Cette grande partition, un monde en soi, adulée et comprise avant tout le monde par Alban Berg qui en citera dans sa 3ème Pièce op 6 le terrible marteau, prenait hier soir à Pleyel tout son sens. Harding bluffe par l’intelligence implacable de sa conception, son art constant du sostenuto – le finale où rien jamais n’était lâché constituait en soi un tour de force, refusant l’effet pour mieux produire le sens – son dédain de tout expressionnisme racoleur. Sa hauteur de vue n’intimide pourtant jamais, elle place simplement l’auditeur au niveau de l’œuvre. Le son lui même, concentré, puissant, suffisait à en dresser le portrait.
On lui en veut pourtant de céder à la mode : l’Adagio en seconde position est une erreur que Mahler lui même corrigea dans l’édition définitive de la partition. Honte aux musicologues avides de réécrire l’histoire au point de défigurer l’équilibre interne de l’œuvre : d’une part le Scherzo doit venir redoubler le maelström de l’Allegro initial, d’autre part toute la première section du finale succède naturellement à la longue introspection de l’Andante. Mais cédant à cet équilibre brisé, du moins Harding lui donne-t-il un sens, prenant l’Adagio presque andante, le dirigeant très « unruhig », n’y laissant rien s’apaiser ou se décanter. Du coup, le Scherzo, avec ses formules mortifères, devient le centre effectif de l’œuvre. On ne glosera pas plus longtemps sur la singulière puissance de cette interprétation : en révisant nos souvenirs on devait bien admettre que c’était simplement la Sixième la plus aboutie qu’on ait entendue au concert depuis celle du jeune Rattle avec la Philharmonie de Berlin.
En ouverture de ce très copieux programme, on attendait Hélène Grimaud dans le 3e Concerto de Beethoven, qu’elle avait ensuite remplacé par le Sol de Ravel, pour finalement annuler. Soyons cruel mais juste, nous avons gagné au change un « Empereur » de grande venue. Oui Nicholas Angelich boule les traits introductifs, ses rythmes ne sont pas toujours impeccables, mais l’on s’en moque car c’est Beethoven qui rugit dans son piano fou, tout entier inféodé à une énergie dionysiaque, titanesque, d’un son immense, jamais tapé, infiniment ouvert, cherchant et trouvant toujours la variété des timbres. Cet art, qu’il a appris d’Aldo Ciccolini, en fait l’un des pianistes majeurs de notre temps. Harding le soutient à peine : décidément il n’est pas un accompagnateur, mais un chef oui.
Jean-Charles Hoffelé
Paris Salle Pleyel – 27 avril 2010
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Photo : DR
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