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Compte-rendu : Triomphe viennois - Manfred Honeck et le Pittsburgh Symphony Orchestra à Vienne
S’il est un lieu où le chef Manfred Honeck se sent chez lui en Europe, c’est bien ce Musikverein de Vienne où il officia d’abord à l’Orchestre Philharmonique comme violoniste. Il y reçut de front le choc de quelques monstres sacrés, Karajan évidemment, « impérieux, immense » mais surtout, Carlos Kleiber, dont l’énergie qu’il irradiait est resté pour lui le sommet de l’émotion. Et l’envie irrésistible de poser l’archet pour la baguette s’est imposée, durant ces années fertiles en exemples. Depuis, l’avancée s’est faite à pas tranquilles, sous les auspices de maîtres tels qu’Abbado.
Elle culmine aujourd’hui sur une histoire d’amour avec l’Orchestre de Pittsburgh, lequel a acclamé sa nomination en 2008, après trois années de flottement, pendant lesquelles trois chefs se partagèrent la direction. Yan Pascal Tortelier y reste attaché, notamment pour la musique française, que Honeck affectionne (son premier concert à Pittsburgh comprenait notamment le Concerto pour orgue
L’Orchestre Symphonique de Pittsburgh, dans la vaste salle de 2676 places construite avec les subsides éclairés de la famille Heinz, mécènes comme il en pleut dans l’heureuse Amérique, est pour lui une fructueuse rencontre, avec laquelle il mène déjà à bien quelques projets de belle allure, témoin son récent CD Mahler avec la Symphonie n°1 « Titan » (Exton), qui témoigne de son style et fait découvrir les couleurs de l’orchestre. Celles-ci sont brillantes, particulièrement les cuivres, lesquels font merveille dans Mahler, auquel le chef consacre un cycle, tout comme à Beethoven. « Mon travail, insiste-t-il, a notamment consisté à mêler la professionnalisme impeccable de ces musiciens, pour la plupart américains, toujours prêts et précis, à la sensibilité de l’Europe, moins radicale ». Bref introduire le doute dans l’efficacité, un luxe qu’on ne peut se permettre que sur des bases très sûres.
Qualité majeure qui montre une osmose véritable, l’orchestre répond avec un engagement total à la direction à la fois contenue ou enflammée de Honeck, lequel « aime prendre son temps pour descendre dans la musique, et la laisser développer son empire sur les âmes : un mariage à consommer avec l’univers de chaque compositeur, qu’il faut préparer lentement ». Le résultat de cet équilibre subtilement dosé entre les chocs sonores et rythmiques et les plages de réflexion, est d’une extrême intelligence musicale.
On ne s’étonnera pas que le tournée printanière de l’orchestre le mène de succès en succès dans ses étapes européennes, de Paris à Stuttgart, Dresde, Prague ou Luxembourg, avec quelques solistes familiers de l’Orchestre de Pittsburgh, Anne-Sophie Mutter dans Brahms, - sa réputation y survit à la dégradation de sa sonorité et à quelques maniérismes qui chargent son jeu autrefois si lisse et pur -, et Emmanuel Ax, jubilatoire et romantique, à l’énergie rutilante, même s’il savonne quelques trilles dans le Concerto de Beethoven.
Mais quel autre mot employer que celui de triomphe pour l’accueil que Vienne a réservé à l’enfant du pays et à ses compagnons ? Un vent de folie a soufflé sur la salle, lors des deux concerts successifs qui ont mis en parallèle Mahler et Chostakovitch. La Symphonie n°5 de ce dernier a été à coup sûr le moment le plus fort de ces soirées. Frappé par la communauté d’esprit qui règne entre les deux compositeurs, dans leur façon de faire briller l’orchestre et d’en extirper des expressions contrastées, exacerbées, alternant une certaine trivialité et un lyrisme éperdu chez le premier, mêlant dérision implacable et désolation glacée, à des haltes sans espoir, au sein d’un rapport avec la nature qui n’a rien de bucolique, pour le second. Le chef a su mettre en évidence cette fraternité d’écriture et de sensibilité, marque d’une grande finesse analytique : « chez Chostakovitch, dit-il, le sous-entendu gronde toujours en sous-sol ».
Et puis, car à Vienne on est gourmand, les bis se sont déchaînés, tandis que le public de la salle dorée restait soudé à son siège, et que les musiciens applaudissaient leur chef à tour de bras, tandis que celui-ci recevait ces marques d’affection et d’enthousiasme avec un bonheur d’enfant. Après les profondeurs angoissantes de Chostakovitch, la vie revenait. L’Orchestre de Pittsburgh et Manfred Honeck ont donné là une leçon de musique, d’humanisme et de vitalité qu’on n’est pas près d’oublier.
Jacqueline Thuilleux
Concerts au Musikverein de Vienne. Pittsburgh Symphony Orchestra avec Anne-Sophie Mutter et Emmanuel Ax, direction Manfred Honeck, les 26 et 27 mai 2010.
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Photo : DR
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