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Compte-rendu : Un orchestre de légende dans la tempête - Christian Thielemann et la Philharmonie de Vienne
Vous avez sans doute vous aussi dans un coin de votre mémoire le souvenir de portraits antipodiques de Beethoven : le petit jeune homme rangé, tiré à quatre épingles, la coiffure soignée entourant un visage respirant un classicisme de bon aloi digne de Goethe, et, à l’opposé, le délire romantique de mèches de cheveux ébouriffés à la Hector Berlioz, la chemise dépoitraillée à la BHL… Ce sont les deux faces de Janus, à la limite de la caricature, que la Philharmonie de Vienne a successivement données du grand Ludwig van sous la baguette de l’imprévisible Allemand Christian Thielemann : l’ordre et le désordre, le classicisme et le romantisme.
Ce fut d’abord une 8ème Symphonie aux proportions harmonieuses à souhait, respirant le siècle des Lumières et que n’aurait pas désavouée Emmanuel Kant. Merveilleux équilibre des pupitres et des timbres de cette impériale machine à son : presque trop beau pour être honnête ! Puis, vint une ouverture d’Egmont des grands soirs. Le jeune chef a bondi sur l’estrade tel un fauve, bien décidé à en découdre avec un destin saisi à la gorge : du super-Beethoven de derrière les fagots. Il n’y que Vienne pour laisser battre ainsi le sang sous la mince pellicule du vernis de ses Stradivarius ! On se croirait à la fin du concert : le public soulevé d’enthousiasme ne veut pas laisser les fauves sortir de scène et rappelle le chef sans se lasser. Que n’a-t-il enchaîné sur la seconde partie avec la 7ème Symphonie !
Quand il revient après la pause, la mâchoire dessine un rictus de mauvais augure et il se cramponne comme un matelot ivre à la barre du podium. Un de nos célèbres psychiatres qui traita naguère Sviatoslav Richter, autre grand maniaco-dépressif, me souffle catastrophé : « il est totalement imprévisible ! » Certes… « L’apothéose de la danse », joli surnom de cette symphonie, ne ressemble en rien à la statue de Carpeaux qui orne la façade de l’Opéra des arrondis gracieux de ses naïades. Dès le premier mouvement, on devine un Beethoven à la schlag. Mais l’orchestre a du répondant et ne déteste pas qu’on le titille. C’est avec le Presto que ça commence nettement à se gâter : le bateau tangue au lieu de danser sur ses trois temps. Mais avec le finale pris vivacissimo, c’est l’un des plus fameux instruments du monde qui est mis en difficulté par un train d’enfer qui refuse aux notes jusqu’au droit de naître : c’est le Radeau de la Méduse ! On est gêné pour ces musiciens d’exception. Ils sauront toutefois se rattraper avec une superbe ouverture de Coriolan donnée en bis.
Jacques Doucelin
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 16 novembre 2008
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Photo : DR
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