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Concert de rentrée du Chœur de Radio France – De Wagner à Poulenc – Compte-rendu

 
 
Salle comble pour ce concert de rentrée du Chœur de Radio France généreusement médiatisé : en vidéo et en direct à la fois sur francemusique.fr et sur Arte Concert, bientôt sur l'antenne de France Musique (le 11 novembre à 20 h). Tant le programme, d'une puissante originalité, que la prestation méritaient un tel honneur : Wagner revisité y côtoie des maîtres français eux-mêmes en partie autrement restitués.
 
En ouverture de ce programme élégiaque, de ton et d'esprit, la musique de la toute fin, à la fois réminiscence et anticipation : Liberté, qui referme Figure humaine de Francis Poulenc, transcrite par Renaud Guieu pour huit violoncelles et servie avec intensité – en première audition – par les musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. La musique pour elle-même, momentanément détachée du poème d'Éluard sans toutefois, par un jeu de la mémoire omniprésent durant ce concert, en perdre la force incantatoire. Timbre et vibration du violoncelle, mi-voix, mi-instrument, s'y font l'interprète sensible du passage « de la couleur à la matière » – titre du CD des Phil'Art'Cellistes évoqué dans l'entretien de Renaud Guieu avec Christian Wasselin qui figure dans le programme de salle (1).
 

© Mathieu Guénon
 
Wagner fait quant à lui l'objet d'une métamorphose, signée Franck Krawczyk, plus que d'une « simple » transcription : M. W. nach Tristan (M[athilde] W[esendonck] vers Tristan), créé en 2009 à la Cité de la Musique par le Chœur Accentus. Quatre sections, nimbées d'un mystère rehaussé de l'approche haute en nuances du Chœur et Martina Batič (photo), son ancienne directrice musicale et désormais cheffe invitée principale, du frémissement du texte parlé à l'épanouissement de la ligne mélodique. Im Treibhaus et Traüme – des Wesendonck-Lieder, où Tristan und Isolde puisera – y sont annoncés par un Prologue empruntant au dialogue de Kurwenal et du Berger (Acte III) et séparés par l'énigmatique Porazzi-Thema, esquissé pour Tristan, écarté puis finalement réutilisé par Wagner au soir de sa vie (2).
 

© Mathieu Guénon
 
À ce Wagner intime firent suite, par les huit violoncelles, Nuages (où la mémoire restitue, via l'archet de Renaud Guieu lui-même et son timbre prenant, l'inoubliable et immuable motif ascendant de quatre notes du cor anglais) et Fêtes des Nocturnes de Debussy, puis, de nouveau en première audition, la Pavane de Fauré, d'une sensualité exacerbée par les cordes cependant que le Chœur redonnait vie aux vers de Robert de Montesquiou. Suranné, peut-être, mais le tout d'un charme exquis, l'assistance frissonnant irrésistiblement de plaisir. Avant une ultime facette de Wagner intime : Prélude de Lohengrin redistribué pour les violoncelles du Philharmonique, on entendit avec émotion Paul Éluard dire son poème Liberté (3) – donnée essentielle de l'ouvrage de Wagner, douloureusement incompatible avec la contrainte qu'Elsa se voit imposer.
 
Figure humaine pour double chœur mixte a cappella refermait donc ce concert d'une charge émotionnelle extrême. L'œuvre est d'une telle difficulté, véritable défi pour un vaste chœur généraliste, que l'habitude a été prise de la confier à des chœurs de chambre (Poulenc refusant résolument l'adjonction d'instruments, même pour en faciliter la diffusion), comme l'atteste la discographie, du Groupe Vocal de France à l'Ensemble Aedes, en passant par The Sixteen ou le RIAS Kammerchor. Or Poulenc réclamait un chœur étoffé : « Étant donné la répartition à douze parties, soixante exécutants me semblent insuffisants. Il faudrait envisager au moins quatre-vingt-quatre chanteurs, soit sept par partie » – cette Cantate sur des poèmes d'Éluard parus clandestinement (Poésie et Vérité, 1942) fut créée, en anglais, à Londres en janvier 1945 par le Chœur de la BBC. Acuité, sobriété, intelligibilité, puissance strictement contenue ou relâchée, surgissante et refluante : portée par les gestes minimalistes et intériorisés de Martina Batič, l'interprétation fit honneur à ce chef-d'œuvre dont l'audition ne peut qu'ébranler le public, sidéré, transporté, l'impact s'imposant au gré d'impérieuses vagues successives, accelerando et crescendo, jusqu'à l'explosion finale sur le mot Liberté. Un ultime accord embrassant soudainement quatre octaves, jusqu'au périlleux et ici magnifique contre-mi demandé par Poulenc à deux sopranos, tel un puissant écho de la transcription initiale.
 
Michel Roubinet

Paris, Auditorium de Radio France, 19 septembre 2021
www.maisondelaradio.fr/evenement/musique-chorale/chorus-line-1/figure-humaine
 
Vidéo du concert :
 
Sur le site de France Musique
www.francemusique.fr/concert/maison-de-la-radio-et-de-la-musique-auditorium-chorus-line-1-wagner-debussy-poulenc-musiciens-de-l-op-de-rf-crf-batic
 
Sur Arte Concert
www.arte.tv/fr/videos/104533-002-A/le-choeur-de-radio-france-interprete-poulenc-wagner-debussy-et-faure/

 
(1) Programme de salle
https://fr.calameo.com/read/006296452bd40dc3c7d06?page=1
 
(2books.openedition.org/pum/208?lang=fr
 
(3www.youtube.com/watch?v=PyFnoRrh6Lk
 
 
Photo © Janez Kotar

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