Journal
Concert du Nouvel An à Saint-Séverin – Début de saison 2015 en fanfare
Huit jours après la diffusion de la veillée-concert de Noël enregistrée par France Musique à Saint-Sulpice, Plein-Jeu à Saint-Séverin tentait l'aventure d'une nouvelle tradition : un concert du Nouvel An. Avec pour enjeu de concilier esprit de fête et solennité du lieu, de l'instrument et de son répertoire, en l'ouvrant sans le trahir. La rayonnante humanité des œuvres inspirées de la Nativité ne pouvait que constituer la base de ce programme très joliment conçu, à la fois d'une solide exigence et chaleureusement placé sous le signe de la joie. Et de la chaleur, à travers la musique, il en fallait car le thermomètre, sans plonger véritablement, rendait l'opération fort délicate, avant tout pour les musiciens, doigts et pieds engourdis en tribune (encore une exception propre à l'orgue dont les autres instrumentistes n'ont certes pas idée). Le choix se porta spontanément sur des œuvres de caractère positif, rehaussé des couleurs de l'orgue Kern (2) dans un esprit de convivialité – au point qu'une pièce, attendue, comme le choral de Bach La vieille année s'en est allée (Orgelbüchlein, BWV 614) ne fut pas retenue, peut-être trop empreinte de nostalgie.
Les quatre organistes de Saint-Séverin étaient annoncés, mais Michel Alabau, souffrant, dut malheureusement renoncer, tout en ayant pris part à la mise en œuvre de ce programme, redistribué entre ses trois collègues, chacun se produisant en solo puis avec le suivant à quatre mains. Christophe Mantoux ouvrit la fête avec deux Noëls de Daquin, merveilleusement dans leur élément à Saint-Séverin, restitués sans hâte (comme rarement, et le plaisir des timbres comme des thèmes traditionnels s'en trouva décuplé), avec faconde, aménité et cette confiance qui s'accorde si bien avec Noël. S'ensuivit un choral de Buxtehude, Gelobet seist du, Jesu Christ (BuxWV 188), couronné, à la manière baroque allemande, du joyeux tintement d'une Zimbelstern plus vraie que nature, quand l'orgue Kern n'en dispose pas – un enfant de chœur sera monté en tribune… Cette partie se referma sur le flamboyant Prélude et Fugue en sol majeur BWV 541 de Bach, dont l'indomptable rythmique parvint à vaincre la sensation de froid.
Après quoi François Espinasse délaissa… ses clochettes pour jouer avec Christophe Mantoux la Sonate à quatre mains en si bémol majeur K. 358 de Mozart : délicieuse surprise et absolue fraîcheur des mouvements extérieurs, évoquant (mais avec quelle ductilité) le mythique instrument mécanique des œuvres « pour orgue » du compositeur ; admirable mouvement lent (sur un thème repris d'un Quatuor de Mozart, lui-même emprunté à un Quatuor de Haydn), permettant d'imaginer comment Mozart, qui aimait tant l'orgue, dut sans doute improviser sur ceux d'Italie septentrionale touchés durant ses jeunes années, jusqu'à suggérer ici la magie des timbres d'un authentique Callido de Vénétie.
Un même esprit, vif et joyeux, inventif et tonique, anima les pièces solistes de François Espinasse : Pastorale de Bach, deux des Noëls de Jean Bouvard (1905-1996 – grand père de Michel Bouvard, qui en a enregistré quelques uns à l'orgue de Muret), en l'occurrence du Languedoc et du Poitou, et pour finir la grande Fantaisie de choral Wie schön leuchtet der Morgenstern de Buxtehude (« Comme elle resplendit, l'étoile du matin ! », BuxWV 223). Puis nouveau de passage de témoin avec un quatre mains plus héroïque qu'il n'y paraît : grande Valses des fleurs du Casse-Noisette de Tchaïkovski (transcription d'Yves Lafargue) par François Espinasse et Véronique Le Guen – à haut risque, assumé, et certainement plus que malaisé tant les musiciens se doivent d'évoluer sur l'ambitus complet des quatre claviers tout en restituant une « orchestration » exigeant un maximum de malléabilité de la palette sonore. Un virevoltant tour de force.
Bach fut aussi à l'honneur avec Véronique Le Guen – rare Prélude et Fugue en la majeur BWV 536, si souplement poétique –, puis Haydn avec une « microsonate » constituée de trois délicieuses piécettes pour Flötenuhr (« horloge à flûte ») suivies de l'un des chefs-d'œuvre pour orgue mécanique de Mozart, la Fantaisie en fa mineur K. 594, aussi redoutable que bouleversante – seul moment « tragique », et combien prenant, de la soirée. Cette ultime partie soliste fut conclue par une formidable Pomp & Circumstance March n°1 d'Elgar (dans la transcription d'Edwin Lemare ?) : que Saint-Séverin sonne bien dans ce répertoire ! À Elgar fit suite, à quatre mains avec Christophe Mantoux, la Radetsky-Marsch de Strauss père, sans laquelle il n'est donc de vrai Concert du Nouvel An : ici beaucoup moins Wiener Philharmoniker que pour kiosque à musique, pimpante et sobrement martiale, en définitive plus proche de l'original, « symphonisé » par la suite à l'usage des grandes formations. Preuve une fois encore, s'il en était besoin, que les facultés d'adaptation de l'instrument-roi sont sans limites…
Ce Concert du Nouvel An ouvrait une programmation 2015 riche et variée. Rappelons que le 4ème samedi du mois, à 17 heures, une audition est proposée par un étudiant du Conservatoire Supérieur de Paris, de celui de Lyon ou du CRR de Paris, cependant que quatre concerts du vendredi sont annoncés ce printemps : Véronique Le Guen le 13 mars, Benjamin Allard (Saint-Louis-en-l'Île) le 10 avril, Louis Robillard (Saint-François-de-Sales, Lyon) le 8 mai, enfin le 12 juin Michel et Yasuko Bouvard (Saint-Sernin de Toulouse et chapelle du château de Versailles / Saint-Pierre-des-Chartreux, Toulouse) : belle et trop rare occasion de les entendre jouer ensemble.
Michel Roubinet
Paris, église Saint-Séverin, Paris, 31 décembre 2014
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