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Concert « Enchantante Chine » par la Compagnie de L’Oiseleur – Quel sinisme ! – Compte-rendu
S’il y eut au XIXe siècle un mouvement que l’on qualifie de japonisme, on aurait tort d’imaginer que l’intérêt pour la Chine n’a pas survécu aux « chinoiseries » du siècle précédent. Et si l’on prend comme repère l’année 1889 lors de laquelle Debussy entendit un gamelan balinais grâce à l’Exposition universelle de Paris, peut-être pourrait-on y voir le tournant après lequel se développe ce qu’on pourrait appeler « sinisme », n’étaient les fâcheuses connotations politiques du terme. Alors que la chinoiserie se bornait à l’exploitation de sujets plus ou moins originaires de Chine, le sinisme pousserait plus loin ce que, fort heureusement, on n’avait pas encore baptisé « appropriation culturelle ».
Après Debussy, il devient possible, sans intention moqueuse, d’imiter les styles et les modes de la musique chinoise, et c’est ce que montre admirablement le concert proposé par la Compagnie de l’Oiseleur à la Mairie du 3e arrondissement (désormais Mairie du Centre-Paris). Une fois encore, il faut répéter ce que l’on constate à chaque fois grâce au travail de l’Oiseleur des Longchamps : combien d’heures de recherches suppose l’exhumation de toutes ces mélodies, et quel goût dans le choix d’œuvres aptes à charmer encore l’auditeur d’aujourd’hui ! Le programme « Enchantante Chine » inclut quelques noms connus, mais en dehors de « Laideronnette » de Ravel, que joue notamment un jeune pianiste de 9 ans, Muchen Lin, on n’entend de ces compositeurs illustres que des pièces rarissimes. Bien sûr il y a aussi beaucoup de noms encore confidentiels, et l’on se dit que l’exploration de leur catalogue permettrait sans doute de fascinantes découvertes.
L'Oiseleur des Longchamps @ Cie de l'Oiseleur
Prenant pour prétexte le Nouvel An chinois, l’Oiseleur a donc réuni tout un bouquet de pièces surtout vocales, mais instrumentales également, qui couvrent trois quarts de siècle de musique française. Première surprise : le baryton, dont on apprécie ici encore la sensibilité et la diction mises au service des mélodies, est aussi flûtiste, et il interprète au cours de la soirée deux des Trois Pièces pour flûte de Pierre-Octave Ferroud, dont la virtuosité mélismatique cherche à évoquer des contes chinois. Deuxième bonheur, même s’il n’a rien d’étonnant : les trois mélodies d’Albert Roussel, interprétées par la soprano Rong Ma, sont des pages de toute beauté, empruntées à trois recueils, tous intitulés Deux Poèmes chinois, tous sur des textes dus à Henri-Pierre Roché mais composés en 1907, 1927 et 1932.
La chanteuse se révèle aussi à la hauteur des exigences de « La rose rouge » d’Armande de Polignac, dont l’accompagnement tumultueux (saluons au passage la prestation du pianiste Leo Debono) suppose une réelle puissance vocale. Du même recueil La Flûte de jade (1922), l’Oiseleur des Longchamps interprète « Nuit d’hiver », à la brièveté digne d’un haïku japonais, et « Le héron blanc », toutes les versions françaises de ces poèmes chinois étant dues à Franz Toussaint (1879-1855). Les publications de cet orientaliste, grand traducteur, ont inspiré plus d’un compositeur, et le concert propose l’exercice toujours instructif consistant à rapprocher deux mises en musique d’un même texte : « Notre bateau glisse » est d’abord interprété dans la magnifique version du Belge Raymond Moulaert, par le ténor Min Kuang, qui n’hésite pas à recourir fréquemment au falsetto pour les notes les plus aiguës, puis par l’Oiseleur dans la version qu’en a donné le Suisse Pierre Maurice. Ce dernier compositeur paraît d’abord un peu timide, mais se rattrape avec deux autres extraits de son recueil Sept Poèmes chinois (1925), plus audacieux, avec un petit côté « Chansons de Bilitis » transposées dans l’Empire du Milieu.
Le concert se termine sur un cocasse et splendide ensemble tiré de l’opéra-comique Le Voyage en Chine de François Bazin (1865), qu’il y aurait urgence à remonter, même s’il joue sur des stéréotypes caricaturaux. Pas de sinisme ici, pas plus que dans le superbe « Sonnet chinois » de Paladilhe, mais une vivacité qui donne envie d’entendre l’œuvre dans son intégralité.
Laurent Bury
Paris, Mairie du Centre-Paris, 1er février 2022
Photo © Cie de L'Oiseleur
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