Créé en 1971 – sous les auspices d'André Malraux et de Pierre Cochereau – par Pierre Firmin-Didot, président-fondateur (1969) de l'Association des grandes orgues de Chartres, le Concours international d'Orgue « Grand Prix de Chartres » s'est très vite imposé tel l'un des plus importants de la planète, si ce n'est même le tout premier, en raison notamment du nombre de concerts offerts aux lauréats en fonction des récompenses obtenues (soit pour 2014 un total d'une cinquantaine d’engagements en France, Russie, Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne, Islande, Italie, Luxembourg, Slovaquie, Suisse). Comme tout concours de cette nature, celui de Chartres a accompagné l'envol de carrières ayant effectivement tenu leurs promesses, à commencer par les deux tout premiers lauréats (ex æquo en interprétation et improvisation) : Daniel Roth et Yves Devernay, de même qu'il a couronné des organistes certainement de talent mais dont le monde musical n'a plus guère entendu parler. A contrario, il va de soi que quantité d'organistes de réputation internationale n'ont jamais décroché – ou ne s'y sont pas frottés – ce trophée fameux entre tous. Il n'en reste pas moins que mille candidats ont concouru depuis quarante ans, en interprétation (tous les deux ans) et/ou en improvisation (tous les quatre ans).
 
Le Concours est désormais porté par l'actuel président de l'Association, Philippe Lefebvre, lui-même grand prix d’improvisation en 1973, devenu organiste titulaire de la cathédrale de Chartres avant de prendre la suite, en 1985 et avec Yves Devernay, Olivier Latry et Jean-Pierre Leguay, de Pierre Cochereau à Notre-Dame de Paris. Il se trouve que l'édition 2014 a exceptionnellement renoué avec les origines : magnifié par un grandiose buffet de 1546 et une acoustique de rêve, signé Danion-Gonzales et inauguré par Cochereau, l'orgue neuf (1969-1971) de Chartres n'était pas encore opérationnel lors de la première édition du Concours – les épreuves s'étaient alors déroulées à Notre-Dame de Paris. La cathédrale de Chartres étant en cours de restauration, actuellement au niveau de la nef, entièrement échafaudée cependant que l'orgue est coffré pour deux ans, le concours (uniquement d'interprétation cette année) s'est de nouveau déroulé à Paris : quarts de finale sur l’orgue Grenzing du Conservatoire à Rayonnement Régional de la rue de Madrid : 22 candidats retenus sur les 63 s'étant présentés (20 nationalités – Allemagne, Angleterre, Arménie, Belgique, Biélorussie, Canada, Corée du Sud, Croatie, États-Unis, France, Grèce, Hongrie, Italie, Japon, Lettonie, Mexique, Pays-Bas, Pologne, République-Tchèque, Russie) ; demi-finale sur l’orgue Rieger du CNSM de la Villette (9 candidats) ; finale (publique) à Notre-Dame (4 candidats).
 
Placé en tribune latérale pour la finale du 8 novembre, le jury réunissait Gilbert Amy (président, France), Bine Bryndorf (Danemark), James David Christie (États-Unis), François Espinasse (France), Christophe Mantoux (France), Bruno Morin (France), Ben van Oosten (Pays-Bas), les épreuves se déroulant, tradition intangible du Concours de Chartres, dans le plus strict anonymat. Les finalistes (dans l’ordre de passage) étaient Dexter Kennedy (États-Unis), Balázs Szabó (Hongrie), Thomas Ospital (France), Ae-Shell Nam (Corée).
 
Le Grand Prix de Chartres 2014 a été attribué à Dexter Kennedy, cependant qu'un Second Prix ex æquo était décerné à Balázs Szabó et à Thomas Ospital. Ce dernier a également remporté le Prix Jean-Louis Florentz récompensant la meilleure interprétation de l'œuvre contemporaine imposée : Seigneur des lumières (qui referme le cycle Laudes op. 5 de Florentz) – Thomas Ospital qui, en mai 2014, avait déjà remporté le Grand Prix Jean-Louis Florentz – Académie des Beaux-Arts d'Angers (1). Quant au Prix du Public, il est allé au même Thomas Ospital : comme à Angers (en plus du Grand Prix), mais aussi à Chartres, déjà, lors du Concours 2012 (où il avait également reçu le Prix Maurice Duruflé pour la meilleure interprétation de la Toccata de Maurice Duruflé !). Comme quoi le public – qui n'a pas sous les yeux les partitions pour traquer le moindre soufflet dynamique mais se forge une idée des musiciens (anonymes) sur des bases plus larges et moins « techniques » – s'affirme tel un révélateur musicalement des plus intéressants. Cruelle loi des concours internationaux, surtout dans cette configuration d'un second prix ex æquo : seul le quatrième finaliste n'a pas reçu de distinction. Résultats diversement appréciés mais émanant d'un jury souverain – on se plie à la règle ou l'on passe son chemin.
 
La problématique soulevée par la délocalisation des épreuves de Chartres à Paris est quelque peu alarmante pour la pérennité de cette véritable institution. Cofinancé par la Région Centre, le Concours ne peut, deux éditions de suite, se dérouler hors de ladite Région. La fin des travaux de la nef de la cathédrale de Chartres est envisagée pour le printemps 2016, année de concours ; devraient suivre bas-côtés, chapelles et transept – le plus vaste de France ! –, d'où quelques années de poussière en plus, malgré toutes les protections imaginables. Lorsque l'orgue actuel sera libéré de son coffrage protecteur, il nécessitera, même dans le meilleur des cas, un important relevage. La question que tout le monde se pose, depuis de nombreuses années et en prévision de cette heure de vérité, est naturellement de savoir si le Danion-Gonzales de 1971, instrument de qualité insatisfaisante (en dépit du relevage par Jean-Marc Cicchero en 1996) et dont l'esthétique a mal vieilli, mérite un tel investissement…
 
Dans la période présente, on peut imaginer que le financement d'un orgue neuf ne sera(it) pas une mince affaire. Quelle que soit la solution retenue, elle ne pourra que demander du temps – des années. Force sera de trouver, pour le Concours, un orgue de substitution en Région Centre doté d'un indispensable combinateur (les candidats ont droit à un tourneur de page mais pas à un assistant de registration, « sauf en cas de défaillance du combinateur »), ce qui n'est pas le cas, bien sûr, de l'une des merveilles de la Région : le Cavaillé-Coll de la cathédrale d'Orléans. On suivra donc avec intérêt la suite des événements, tant pour le Concours (dans le contexte de son règlement actuel) que pour l'instrument, tout en se disant que le couronnement naturel, pour ne pas dire évident, du chantier pharaonique que représente la restauration complète de l'intérieur de la cathédrale de Chartres serait la construction d'un orgue d'exception, digne du buffet historique, de l'acoustique et du vaisseau de Chartres. Sachant qu'un instrument neuf, sur le plan financier, serait (presque) une goutte d'eau en regard du budget global des travaux de restauration de l'un des chefs-d'œuvre majeurs du gothique européen. Multiplicité des fonds publics (les cathédrales et leur « mobilier » appartiennent à l'État), mécénat d'entreprise, vaste campagne de financement participatif (ce crowdfunding qui semble si bien fonctionner pour tant de projets de nature et d'ampleur très diverses), fiscalité adéquate pour les dons de particuliers ? Sans doute les pistes de financement pourraient-elles être nombreuses. Une certitude demeure, paradoxale pour un édifice qui se joue des siècles : le temps presse.
 
Michel Roubinet
 
(1) Lire le compte rendu : www.concertclassic.com/article/concours-dorgue-dangers-2014-hommage-jean-louis-florentz-compte-rendu
 
Sites Internet :
 
Association des grandes orgues de Chartres
orgues.chartres.free.fr
www.cathedrale-chartres.org/fr/l-association-des-grandes-orgues,77.html
 
24^ème édition du Concours international d'Orgue « Grand Prix de Chartres »
orgues.chartres.free.fr/agocp3-2014.htm
 
Liste des concerts offerts aux lauréats du Concours 2014
orgues.chartres.free.fr/agocp3-2014.htm
 
Photo (de gauche à droite : Balázs Szabó, Dexter Kennedy, Thomas Ospital, Ae-Shell Nam) © Concours de Chartres