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Coppélia selon Jean-Guillaume Bart par le Ballet du Capitole – Cadeau de Pâques – Compte rendu

Il souffle comme un air de printemps sur le Ballet du Capitole toulousain avec cette production pétillante, intelligente, charmeuse, qui redonne vie à un chef d’œuvre du répertoire que beaucoup considèrent comme poussif, mais qui comme toute vieille poupée, peut renaître. À condition de trouver un enchanteur ! Ici, c’est Jean-Guillaume Bart, ancienne étoile de l’Opéra de Paris, de la même génération que Nicolas Leriche, et aujourd’hui professeur à l’Opéra, qui opère cette renaissance : on se souvient de son élégance, de sa finesse, encore mises en valeur aujourd’hui dans des costumes de ville qui ramènent aux époques fastes des tailleurs d’un Cary Grant ou d’un Gary Cooper.

Ramiro Gómez Samón & Natalia de Froberville © David Herrero
Foin des jeans et de l’air suant et soufflant pour ce gentleman de la danse qui, en dehors de sa perfection académique et de ses exigences stylistiques, a gardé un œil frais sur des vestiges patrimoniaux auxquels il sait redonner vie, en chorégraphe accompli. L’occasion de rappeler son remarquable travail sur La Source, ballet oublié de Saint-Léon, créé en 1866 sur une partition non moins oubliée de Minkus et Delibes, qu’il ressuscita en 2011 à Paris, avec des complices plus que doués, Christian Lacroix et Eric Ruf. Un ballet qui fut un véritable enchantement et dont on se désole qu’il ne reparaisse plus sur notre scène nationale. Et largement du niveau de Paquita ou de la Fille mal gardée.
Une origine hofmannienne, donc pour cette perle un peu fanée du répertoire post romantique, signée en 1870 par Arthur Saint-Léon, et qu’une foule de chorégraphes se sont employés à revisiter, tant, sous ses airs enfantins et innocents, elle permet d’aborder de plus troublantes problématiques : de la créature inanimée qu’est la poupée, à laquelle l’amour fou du créateur Coppélius croit donner vie, à la recherche du rêve qui effleure le héros, en regard d’une réalité pourtant séduisante, éternelle quête romantique immortalisée dans La Sylphide en 1832, et qui se résout ici heureusement, dans le retour à la vraie vie. Béjart la rata, Petit en fit un ovni à sa manière, Maillot la reprit en main de façon flamboyante et on se souvient avec émotion d’une version imaginée en 1996 par Patrice Bart, autre étoile de l’Opéra, qui en en donna une image sombre, crépusculaire, avec son Coppélius opiomane, et marqua par sa profondeur dramatique.

Rouslan Savdenov & Natalia de Froberville © David Herrero
La nouveauté sous l’apparence du classicisme
Ici, Jean-Guillaume Bart se saisit de l’histoire avec malice, réveille les vibrations qui lui donnent son caractère piquant, et explore la vaste gamme de la danse. Il dit se plaire à la truffer de tous les apports – « en citations », dit-il – que lui permet son immense expérience scénique et sa culture chorégraphique, qui lui fait revendiquer la marque d’une Chauviré autant que d’un Balanchine ou d’un Noureev. D’emblée, dès que l’histoire commence, tout se met à virevolter, à bondir, à taper du pied et de la botte, sur des musiques irrésistibles, marquées par la vigueur de l’Europe centrale, notamment pour la formidable Mazurka.
En renard rusé, le chorégraphe a instillé des figures qui ont l’air classiques mais sont tout à fait nouvelles, à condition de bien les regarder, ainsi ce terrible manège de pirouettes à l’envers, mine de rien. Mais surtout, tout s’enchaîne en souplesse, avec une simplicité qui rend l’histoire riche et surtout évidente. Du théâtre léger, mais de la danse particulièrement pointue, dans tous les sens du terme, et une vérité psychologique qui habite toute l’histoire, faisant notamment de Coppélius, ici l’excellent Rouslan Savdenov, un vieux maître de ballet éternellement à la recherche de son étoile idéale.

Ramiro Gómez Samón & Natalia de Froberville © David Herrero
Des bulles, du pétillement, de la grâce
Un conte auquel on croit, malgré sa fausse naïveté, et qui a la chance d’avoir pour héros un virtuose aux airs de jeune homme prêt à se faire manipuler, le brillant et léger Ramiro Gómez Samón. Et surtout, qui permet à la ballerine principale de camper un personnage complexe autant que séduisant : Natalia de Froberville, étoile de la compagnie, en déploie toute facettes. Elle est une Swanilda tout en grâce mais aussi en intelligence scénique, et d’une vitalité qui renforce son charme, sans parler de son joli pied, de ceux chers à Pierre Laclotte, jadis maître de ces reconstitutions, mais en archéologue. Jolis pieds qui sont d’ailleurs depuis des années l’un des atouts de la très belle compagnie toulousaine, laquelle se lance dans cette aventure que l’on croyait démodée avec un enthousiasme qui dit combien les vieux mythes peuvent demeurer parlants.
Si Bart a su revivifier l’histoire, il en a gardé heureusement les structures traditionnelles, en les affûtant avec un regard plus contemporain, mais sans forcer le glissement vers un personnage féminin plus nourri, Aucune trahison, donc, mais des bulles, du pétillement, de la grâce et un art de la pantomime qui rend ce mode d’expression tout naturel, alors qu’il est souvent suranné. Pointe d’humour, tour de force en légèreté, aidé par les piquants costumes de David Belugou, sur fond de village ou d’antre du vieux maître Coppélius, évoqués en toute simplicité par les décors d’Antoine Fontaine, et vaillamment éclairés par François Menou.

Nicolas André © nicolasandre.org
Lecture incisive
Tandis que l’orchestre se régale et nous régale de la musique de Delibes, charmeuse, merveilleusement écrite, évoluant en courbes délicates ou nostalgiques, puis s’élançant en irrésistibles brassées de bottes. Et que le chef Nicolas André, que l’on vit ici l’an passé pour le douloureux Chant de la terre de John Neumeier, peut donner libre cours à sa fougue et à sa lecture incisive des moindres inflexions du compositeur. Un vrai bonheur que ce retour aux sources, dont l’eau a été si astucieusement filtrée, et que le public en joie a longuement acclamé. Avant de se tailler un chemin parmi les montagnes de canettes, de mégots et de débris plus douteux qui jonchent la place du Capitole, les soirs de beau temps …
Jacqueline Thuilleux

Coppélia (mus. L. Delibes / chor. Jean-Guillaume Bart) – Toulouse - Théâtre du Capitole, 18 avril ; prochaines représentations les 23, 24 & 25 avril 2025 // opera.toulouse.fr/coppelia-6111425/
Photo © David Herrero
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