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Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - “Le propos dramaturgique est essentiel” - Une interview de Louis Langrée
Chef principal de la Camerata Salzbourg, directeur du Mostly Mozart Festival de New York et nouveau directeur musical de l’Orchestre symphonique de Cincinatti, Louis Langrée est l’un des chefs français les plus demandés à l’étranger. Si, dans une période récente, on l’a entendu avec l’Orchestre de Paris pour des projets lyriques, il n’a pas eu l’occasion de diriger cette phalange dans du répertoire symphonique depuis… quinze ans. C’est dire que l’on attend avec impatience le concert Brahms, Mendelssohn et Franck qu’il conduit le 4 avril à la Salle Pleyel.
A vos débuts vous avez été chef de chant et chef assistant à l’Opéra de Lyon, au Festival d’Aix, à Bayreuth. En quoi le contact précoce avec l’univers de la voix, de l’opéra, du théâtre vous semble-t-il avoir influencé votre conception de la direction, et ce plus particulièrement dans le domaine symphonique ?
Louis Langrée : Ce que j’essaie de cultiver avec les orchestres que je dirige, c’est toujours un sens clair de la dramaturgie musicale. Certains compositeurs demandent à ce que l’on sculpte leur musique, c’est le cas avec Gluck – auteur que j’ai beaucoup fréquenté à mes débuts - ou Berlioz. La musique de Mozart, en revanche, se délivre naturellement, parle d’elle-même. Le travail du chef d’orchestre est identique dans le domaine symphonique. Qu’est-ce que telle ou telle phrase veut dire ? Comment la singulariser ou l’intégrer dans le discours musical de l’oeuvre ? Au théâtre, l’expression est plus facile à déterminer car le livret et les situations dramatiques nous guident. Mais accompagner un concerto ou un air d’opéra de Mozart, c’est exactement la même chose. Et le contenu d’une messe de Bruckner ou celui de la Symphonie de Franck ne sont finalement pas si éloignés.
Le propos dramaturgique est essentiel : il faut savoir ce que l’on veut exprimer pour savoir comment diriger, chanter ou jouer tel air d’opéra ou mouvement de symphonie. Les choix de vibrato, de vitesse d’archet, de couleurs se feront naturellement, s’imposeront à nous dès lors que l’intention dramatique sera claire.
Vous êtes directeur musical du Mostly Mozart Festival à New York depuis 2002, Chefdirigent de la Camerata Salzburg depuis 2011, vous venez de diriger Les Noces de Figaro et Don Giovanni à l’Opéra de Vienne… Quelle réaction vous inspire l’étiquette « spécialiste de Mozart » souvent associée à votre nom, en France en tout cas ?
L. L. : Ça ne me gêne pas, et est même plutôt flatteur : je dois beaucoup à Mozart… Mais le mot « spécialiste » me semble très réducteur. Très souvent hélas, les chefs délaissent Mozart au fur et à mesure du développement de leur carrière. Diriger Also sprach Zarathustra « ramasse » tellement plus que de ciseler une belle « Linz » ou une belle « Prague ». Il faut reconnaître que les orchestres symphoniques ont du mal à placer les symphonies de Mozart en concert : vous ne donnerez pas une de ses grandes symphonies en fin de programme, car vous ne feriez jouer que la moitié des musiciens. Les premières parties étant plutôt axées sur le répertoire concertant, on ne sait plus trop où les placer.
Mais pour moi, la fréquentation régulière du répertoire classique viennois - et principalement la “Sainte Trinité” Mozart-Haydn-Beethoven – devrait être “l’hygiène” de tout musicien.
Vous êtes Chefdirigent de la Camerata Salzburg depuis deux ans. Vous avez repris cette formation à un moment difficile pour elle. Comment les choses se passent-elles à présent ?
L. L. : Après un moment de crise dans l’histoire de l’orchestre, j’ai été élu par les musiciens pour succéder à Leonidas Kavakos. Tout se passe très bien. L’histoire de la Camerata remonte à 1952, mais c’est surtout Sándor Végh qui l’a profondément marquée pendant les vingt années de son “règne”, de 1978 à 1997. Beaucoup de violonistes de cet ensemble ont été ses élèves et Végh a façonné la sonorité légendaire que l’on reconnaît immédiatement dans les enregistrements légendaires des Concertos pour piano de Mozart avec András Schiff. Après sa mort, Sir Roger Norrington lui a succédé, cultivant pendant dix ans une conception musicale radicalement opposée. Pour Végh, d’après ce que me disent les musiciens, il y avait LA musique, mais pas de différence fondamentale entre l’exécution d’une oeuvre classique, romantique ou moderne. Norrington a apporté une autre vision de l’interprétation, déterminée par des choix stylistiques. Il me paraît primordial aujourd’hui de rassembler toutes ces influences précieuses et d’élargir la palette sonore de l’orchestre. La question n’est pas de savoir si l’on vibre ou pas, mais de chercher inlassablement ce que le compositeur a voulu exprimer.
La fin du mois de janvier 2013 aura été marquée par vos premiers concerts avec le Philharmonique de Berlin…
L. L. : C’est un immense honneur pour tout chef d’orchestre, une grande pression aussi que d’être invité à diriger cet orchestre. Simon Rattle a tenu à ce que je dirige un programme Mozart, mais m’a laissé choisir les œuvres. Les trois concerts ont donc débuté avec l’ouverture de La Clémence de Titus, œuvre que les Berlinois n’avaient pas donnée depuis plus de trente ans, puis la 40ème Symphonie, une des oeuvres de Mozart les plus célébrées, et enfin une composition qui n’avait jamais été jouée par le Philharmonique de Berlin : Davide penitente. C’est une œuvre absolument étonnante : on est tout à la fois au théâtre et à l’église, mélange extraordinaire de rigueur et de sensualité. Bien que Mozart ait “recyclé” plusieurs mouvements de sa Messe en ut mineur, on y chante ici en italien et non plus en latin, les chanteurs solistes dialoguent avec les bois de l’orchestre, et Mozart insère même une cadence au beau milieu d’une fugue... Beaucoup de musiciens m’ont fait part de leur enthousiasme de découvrir un tel chef d’œuvre et de leur étonnement qu’il n’ait jamais été joué par le Philharmonique de Berlin.
Quelle sensation éprouve-t-on lorsque l’on se trouve pour la première fois confronté à cette illustre phalange ?
L. L. : Ces musiciens ont non seulement un talent immense, mais sont généreux de leur talent. Avec d’autres orchestres, les dix premières minutes… Là, pas du tout. Le travail a été fertile, et ça a été un bonheur musical de chaque instant. Et une belle surprise, s’agissant d’un orchestre aussi légendaire.
Je crois aussi que les musiciens ont été heureux de jouer ces oeuvres. Daniele Damiano, bassoniste qui est member de l’orchestre depuis l’époque de Karajan, m’a confié qu’il n’avait joué la 40ème Symphonie de Mozart qu’une seule fois avec le Philharmonique de Berlin, à l’occasion d’un concert sans chef en hommage à Karajan. Comme je vous le disais auparavant, les orchestres symphoniques délaissent un peu ce répertoire et pourtant le fondement du son d’orchestre plonge ses racines dans l’école classique viennoise.
Vous venez de prendre la succession de Paavo Järvi à la direction musicale du Cincinnati Symphony Orchestra et vous inaugurerez votre première saison le 8 novembre prochain. Dans quelles circonstances avez-vous été amené à occuper ce poste ? Dans quel esprit abordez-vous cette aventure musicale dans un pays que vous connaissez bien et dont vous avez déjà dirigé de nombreux orchestres ?
L. L. : Les orchestres américains témoignent d’un professionnalisme impressionnant et cela vous permet d’organiser vos répétitions de manière extrêmement précise et efficace. L’Orchestre Symphonique de Cincinnati et la Camerata Salzburg vont constituer deux points d’ancrage complémentaires dans mon existence, après avoir passé une bonne demi-douzaine d’années à voyager, à ‘butiner’ tant d’orchestres, allant de fleur en fleur. L’an dernier par exemple, d’août à novembre, j’ai dirigé treize programmes différents en trente deux concerts, à New York, puis en Australie avec le Melbourne Symphony, en Chine avec le Shanghai Symphony, au Japon avec l’Orchestre de la NHK, puis au Brésil avec l’Orchestre Symphonique de São Paulo avant de retourner à Cincinnati, puis à Budapest avec le Budapest Festival Orchestra, et enfin à Salzbourg. Des orchestres magnifiques mais une vie de mercenaire ! Je veux à présent centrer mon activité sur “mes” orchestres, développer un son et une identité propre à chacun de ces ensembles.
Le pôle Camerata Salzburg existe depuis 2011. Combien de temps par an lui consacrez-vous ?
L. L. : C’est très variable car il s’agit d’un orchestre nomade. La Camerata Salzbourg donne cinq séries de concerts d’abonnement par saison, ce qui est peu. Nous participons chaque fin janvier à la Mozartwoche, dont Marc Minkowski est le nouveau directeur artistique. Nous avons également participé en décembre dernier au "Festival Dialoge" de Salzbourg où nous avons donné le Requiem de Mozart et créé le Libera me de Manfred Trojahn. Mais l’activité principale de l’orchestre repose sur les tournées, de nombre et de durée variables selon les saisons.
Un orchestre de chambre d’un côté de l’Atlantique, un orchestre symphonique de l’autre … Qu’est-ce qui vous séduit particulièrement à Cincinnati ?
L. L. : La première chose qui m’a frappé au Cincinnati Symphony Orchestra, c’est sa sonorité. Il faut remonter à ses origines : l’essor de la ville remonte à la seconde moitié du XIX° siècle, lors de la grande vague d’immigration allemande. Pour adoucir le mal du pays, les habitants ont fondé plusieurs sociétés chorales et, au bout d’un moment, le désir de chanter des oratorios tels que Le Messie ou Elias a rendu nécessaire l’existence d’un orchestre. L’Orchestre ici n’est donc pas né de la volonté d’un grand industriel – comme ce fut le cas avec Mr Ford à Detroit ou Mr Heinz à Pittsburgh -, mais d’un besoin des citoyens. Aujourd’hui encore, Le Cincinnati Symphony accompagne chaque année le May Festival, grande manifestation chorale dont le directeur musical depuis trente-cinq ans est James Conlon.
Le lien affectif unissant la population de Cincinatti et son orchestre est d’une force étonnante et émouvante. Les origines germaniques de la phalange aident à comprendre la densité de sa sonorité. Et puis la liste des directeurs musicaux est impressionnante : Eugène Ysaÿe – j’avoue que je ne savais pas qu’il avait été directeur musical d’un orchestre – Stokowski, Reiner, Schippers, Michael Gielen, et bien sûr Paavo Järvi tout récemment.
La sonorité des orchestres américains est souvent très verticale du fait de leur concentration sur l’attaque qui induit une brillance et une netteté extraordinaires. Cette précision formidable appartient aussi à la culture du Cincinnati Symphony, mais il possède en outre un sens du cantabile et une flexibilité qui m’avaient impressionné lors de notre première rencontre, dans la Symphonie n°1 de Brahms. Dès les premières mesures, j’avais le sentiment que nous partagions le même langage musical. Nous avons ensuite donné d’autres concerts. Paavo quittant Cincinnati pour l’Orchestre de Paris, j’ai été amené à prendre sa succession.
La manière de choisir le directeur musical est totalement différente de ce qui se passe en France où seules les tutelles décident. Le conseil d’administration de l’orchestre a désigné un comité de sélection devant proposer un nouveau directeur musical, constitué majoritairement de musiciens, mais aussi de représentants et acteurs culturels de la ville (Opéra, Conservatoire, musées, etc.). Le comité a d’abord mené une réflexion sur les besoins et les attentes de l’orchestre. Je ne l’ai su qu’après ma nomination, mais plusieurs membres du comité sont venus m’entendre diriger à St Louis, à Detroit, au Met à New York, et ont même traversé l’océan pour assister à des concerts en Europe ! J’ai rencontré la présidente du comité et nous avons évoqué une programmation, discuté de la place de la musique contemporaine, du rôle pédagogique de l’orchestre, de mes goûts et mes souhaits.
Une des particularités de de l’Orchestre Symphonique de Cincinatti est que les musiciens sont contractuellement tenus de participer au Pops – Erich Kunzel (1) est une vraie légende à Cincinnati ! Le fait de cultiver à un tel niveau ces deux aspects si différents de style de programmation est un complément extraordinaire (les Pops, parallèlement à la saison “classique”, offrent des concerts de musique populaire, musique de films, etc..,). Lorsque j’ai dirigé Les Offrandes oubliées de Messiaen cette saison, j’ai demandé aux cuivres et percussionnistes d’utiliser leurs sonorités si spécifiques des Pops dans la partie médiane, où le compositeur dépeint le péché et le vice. Je les ai encouragé à jouer ce passage comme des hooligans, et le résultat était extraordinaire !
Je me sens proche de cet orchestre peut-être aussi par mes origines alsaciennes. En Alsace, la musique – comme dans la culture germanique - occupe une place essentielle et sacrée. Héritiers de l’histoire de leur orchestre, les musiciens de Cincinnati partagent cette approche de leur art. Richard Strauss est venu diriger le Cincinnati Symphony, cet orchestre a donné les créations américaines des 3ème et 5ème Symphonies de Mahler, en tant que chef Dietrich Fischer-Dieskau a fait ses débuts américains à Cincinnati, etc... D'ailleurs, le quartier où se trouve le “Music Hall” s’appelle Over the Rhine…
Comme s’organisent vos saisons à Cincinnati ?
L. L. : La saison prochaine, je dirigerai six séries de concerts (chaque programme étant doublé ou triplé). Les saisons suivantes comporteront dix séries, auxquelles s’ajouteront trois concerts de gala et des tournées, nationales puis internationales. L’attachement des citoyens à leur orchestre, j’y reviens, est d’une intensité que je n’ai jamais vue ailleurs. Les gens sont fiers de leur orchestre, même ceux qui ne vont pas aux concerts. Et puis, l’orchestre vit principalement grâce au système de mécénat ; aux Etats-Unis, quand une personne a des moyens financiers élevés, elle se sent le devoir moral de soutenir les écoles, les hôpitaux, les musées, les orchestres, les théâtres – c’est une tout autre culture qu’en France. Nous avons la chance d’avoir le siège de Procter & Gamble à Cincinnati et Madame Rose Nippert, décédée l’an dernier à l’âge de 100 ans, a voulu remercier l’Orchestre de lui avoir offert une vie plus belle en lui léguant 85 millions $ !!! Ce à quoi il faut ajouter 10 millions pour la caisse de retraite des musiciens de l’Orchestre…
Venons-en à la France. On vous a entendu à plusieurs reprises avec l’EOP/ Orchestre de chambre de Paris…
L. L. : C’est à l’époque où Jean-Marc Bador dirigeait l’orchestre que le contact s’est établi et j’ai eu le plaisir de donner quelques concerts, dont un récemment avec Aldo Ciccolini.
L’Orchestre de Paris, que vous dirigerez le 4 avril à Pleyel, a quant à lui beaucoup compté durant vos années de formation…
L. L. : J’ai énormément appris entre 1989 et 1992 alors que j’étais assistant de Semyon Bychkov (grâce à Kevin Kleinman, j’avais obtenu une bourse de Polygram). J’ai étudié quantité d’œuvres et ai appris mon métier de chef d’orchestre à ce magnifique poste d’observation. J’accompagnais au piano les répétitions de solistes et ai joué le continuo dans Les Saisons de Haydn sous la direction de Solti. Je dirigeais de temps en temps quelques pages lorsque des chefs voulaient juger l’équilibre orchestral dans la salle. Mais c’était une contribution modeste : assistant à l’époque, c’était surtout « assister à ». Les choses ont beaucoup changé depuis, on le mesure en voyant le talentueux jeune chef qu’est Julien Masmondet. Durant ces trois années passées à l’Orchestre de Paris du matin au soir Salle Pleyel ou dans la bibliothèque de l’Orchestre, je passais des heures à annoter des partitions, des nuits à préparer des œuvres avant de rencontrer le chef. Que de souvenirs… Je songe à une saisissante 3ème de Mahler avec Mehta, à une bouleversante 9ème Symphonie de Schubert par Giulini, à une Mer de Debussy incandescente dirigée par Boulez.
Semyon Bychkov, directeur musical de l’Orchestre à cette époque, s’est montré extrêmement généreux à mon égard, toujours disponible. Sans lui, je ne serai pas chef d’orchestre aujourd’hui !
Y a-t-il une rencontre qui vous a plus particulièrement marqué parmi les chefs invités croisés à l’Orchestre de Paris ?
L. L. : Celle avec Kurt Sanderling. Il était venu diriger un programme Brahms (la 2ème Symphonie et le Concerto pour violon avec Miriam Fried). Il n’avait rien de particulier à faire à Paris parallèlement à ses deux concerts et a pris tout le temps pour discuter avec moi, pour répondre à mes questions, me prodiguer ses conseils sur les Symphonies de Brahms. Je me souviens l’entendre me dire à propos de la 3ème Symphonie : « Vous savez, quand vous dirigerez cette œuvre » - ça me semblait de l’utopie à l’époque – « à la Staatskapelle de Dresde ils utilisent ce coup d’archet, mais d’autres orchestres le font autrement ; essayez les deux ». J’ai conservé précieusement les partitions annotées durant nos conversations. Et j’ai essayé les deux coups d’archet.
Et pour lequel avez-vous opté ?
L. L. : Ça dépend des orchestres; parfois une combinaison des deux ensemble. Quand vous regardez les DVD des 2ème et 4ème de Brahms dirigées par Carlos Kleiber, vous pouvez voir que les coups d’archet étaient souvent mélangés, voire contradictoires. L’unification des coups d’archet est venue avec Toscanini. Il ne faut évidemment pas copier les grands maîtres, mais ces exemples sont de grandes sources d’inspiration.
A quand remonte votre dernier concert symphonique avec l’Orchestre de Paris ?
L. L. : J’ai eu l’occasion de retrouver ces musiciens pour des projets lyriques tels que Fortunio à l’Opéra Comique, ou Pelléas et Mélisande en version de concert au TCE, mais s’agissant d’oeuvres symphoniques notre dernier concert date de 1998.
Retrouvailles bientôt donc, avec un programme qui comprend entre autres une œuvre phare du répertoire français : la Symphonie de César Franck…
L. L. : Elle est emblématique de l’Orchestre de Paris, qui l’a enregistrée plusieurs fois. C’est une oeuvre profane, mais qui porte une dimension sacrée. On lui reproche parfois une certaine lourdeur. Je vous ai parlé auparavant de musiques qu’il faut sculpter, façonner ; en voilà un bon exemple ! La Symphonie de Franck a besoin de pleins et de déliés qui manquent dans l’orchestration. C'est donc à nous de mettre en lumière la flexibilité du phrasé et le miroitement des couleurs. Pour ce concert, j’avais envie d’une œuvre forte, qui appartienne au répertoire de l’Orchestre de Paris et au mien. Il s’agit de musique française, mais un peu « génétiquement modifiée » par l’influence venue de l’autre côté du Rhin, dans son contenu musical et donc sa couleur sonore. L’Ouverture tragique de Brahms ouvrira la soirée, une œuvre passionnante, d’une grande force. Je me souviens encore du choc éprouvé lors de ma première écoute; c’était un disque de Charles Munch avec le Boston Symphony.
Et vous aurez à vos côtés, deux pianistes de la jeune génération, Bertrand Chamayou et Jean-Frédéric Neuburger, pour le Double Concerto en mi mineur de Mendelssohn…
L. L. : C’est Didier de Cottignies qui a choisi ce concerto plein de fraîcheur et les solistes. Je connais déjà Bertrand Chamayou, que j’avais invité avec Jérémie Rohrer au Mostly Mozart Festival à New York, et j’ai immédiatement dit oui lorsqu’on m’a proposé son nom. Je n’ai en revanche jamais travaillé avec Jean-Frédéric Neuburger, mais j’en ai entendu tellement de bien que je me réjouis de faire sa connaissance.
Vous venez d’évoquer le Mostly Mozart Festival. Quelques mots pour conclure sur cette manifestation dont vous assurez la direction musicale depuis 2002…
L. L. : Ce festival a lieu chaque année au mois d’août, au Lincoln Center de New York, en plein coeur de Manhattan. Les programmes sont principalement constitués d’œuvres de Mozart, mais nous nous laissons, Jane Moss (directrice artistique) et moi-même, une grande liberté de programmation: nous avons eu des compositeurs en résidence (John Adams, Osvaldo Golijov et Kaija Saariaho), des artistes en résidence, comme ce fut le cas avec Pierre-Laurent Aimard. Le Festival a commandé des oeuvres musicales et chorégraphiques, des “installations artistiques” aussi, et j’ai créé en 2006 avec Lisa Batiashvili le Concerto pour violon de Magnus Lindberg. Nous invitons également de grands orchestres de chambre - Chamber Orchestra of Europe ou Deutsche Kammerphilharmonie - et des orchestres jouant sur instruments anciens : Freiburger Barockorchester, The Orchestra of the Age of Enlightenment. Mais le Festival a aussi son propre orchestre, composé de musiciens du Met, du New York Philharmonic, de Cincinnati, de Saint-Louis, de Pittsburgh, etc. En quatre semaines, cet orchestre donne huit programmes en dix-sept concerts. Il faut donc être extrêmement efficace car nous n’avons que deux répétitions et une générale par programme. Il faut savoir exactement ce que l’on veut et imposer ses choix. C’est grâce à mon parcours au Mostly Mozart Festival que j’ai été engagé au Metropolitan Opera, où je dirige un ouvrage par saison depuis 2007.
Nous offrons aussi des pre-concerts, des late night concerts où l’on écoute la musique dans une ambiance de cabaret et où l’on retrouve des interprètes tels que Joshua Bell, Gil Shaham ou Emanuel Ax. Nous invitons beaucoup de musiciens français : outre Bertrand Chamayou et Jérémie Rhorer, Emmanuelle Haïm, Lionel Bringuier, David Fray, Sandrine Piau, Claire-Marie Le Guay, Ludovic Morlot, Antoine Tamestit, Jean-Efflam Bavouzet, le Quatuor Ebène, Jean-Yves Thibaudet…
Propos recueillis par Alain Cochard, le 21 mars 2013
(1) Surnommé « Prince of Pops », Erich Kunzel (1935-2009) a dirigé le Cincinatti Pops Orchestra pendant trente-deux ans.
Orchestre de Paris, dir. Louis Langrée
Bertrand Chamayou et Jean-Frédéric Neuburger, pianos
Œuvres de Brahms, Mendelssohn, Franck
4 avril 2013 – 20h
Paris – Salle Pleyel
A NOTER : Réalisé parallèlement aux répétitions de La Traviata aixoise, mise en scène par Jean-François Sivadier et dirigée par Louis Langrée, avec Natalie Dessay dans le rôle-titre, le film de Philippe Béziat "Traviata et nous" sort en DVD le 9 avril. Déjà vu au cinéma, il est ici enrichi de passionnants bonus (1 DVD Les films Pelléas / dist. Naïve )
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Photo : Benoit Linero
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