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Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - Nikolaï Lugansky - Pour l’amour de Rachmaninov
En fin d’année passée, Nikolai Lugansky a marqué un grand coup avec la parution d’un splendide enregistrement des Sonates n°1 et 2 de Serge Rachmaninov chez Ambroisie/Naïve(1). Depuis ses débuts, le pianiste russe (né en 1972) est étroitement associé à un compositeur qui occupera une part essentielle de son récital du 11 février au Théâtre des Champs-Elysées avec la rare et exigeante Sonate n°1 en ré mineur.
Emotion et introversion
« Rachmaninov est l’un de mes grands amours musicaux, confie Nikolai Lugansky. J’avais 12 ans environ lorsque mon professeur à l’Ecole Centrale de Moscou, Tatiana Kessner, m’a fait travailler mes tout premiers Rachmaninov : deux études-tableaux. C’était le début d’une grande histoire… Par la suite, je suis devenu l’élève de Tatiana Nikolaieva, et elle m’a poussé à travailler la totalité des dix-sept Etudes-Tableaux ; celles-ci allaient constituer le programme de mon premier disque. Avec Rachmaninov se conjuguent une musique d’une grande force d’émotion et un créateur au tempérament très introverti. Hormis avec quelques personnes très proches de lui, Rachmaninov avait un regard très strict, très sévère, presque sec. Tout le contraire de Liszt qui aimait partager chaque pensée, chaque émotion. »
Une intensité dominée
Si les débordements expressifs de certaines interprétations de la musique de Rachmaninov ont fait du tort à la réputation d’un des très grands compositeurs de la première moitié du XXe siècle, l’enregistrement des Sonates nos 1 et 2 sous les doigts de Lugansky force l’admiration par son intensité toujours dominée.
Le virtuose a sans nul doute médité l’exemple de Rachmaninov interprétant sa propre musique… « Il est très instructif d’entendre les enregistrements du compositeur. C’est très direct, très strict, presque jamais sentimental. Ensuite, à chaque interprète de trouver son chemin. Il n’y pas de règle universelle pour jouer Rachmaninov. » Lugansky a en tout cas trouvé sa voie dans deux opus aux destins très différents.
Sous le signe de Faust
Elaborée en 1907, la Sonate n°1 n’est que rarement jouée et enregistrée. L’ancien élève de Tatiana Nikolaieva ne cache pas sa passion pour cette partition. « A la différence des autres grandes œuvres de Rachmaninov, elle n’est entrée qu’assez récemment à mon répertoire – il y a cinq ans à peu près. Il s’agit de la plus longue œuvre pour piano solo du compositeur, et, si l’on inclut les concertos, la plus longue après le 3ème Concerto. L’œuvre est très marquée par l’influence du Faust de Goethe, comme Rachmaninov s’en est expliqué dans une lettre à un ami. Cette 1ère Sonate est une réponse russe à l’ouvrage de Goethe. Rachmaninov ne s’est pas exprimé sur ce point, mais il était orthodoxe. Il est intéressant de noter que le 2ème thème du premier mouvement est un thème de choral orthodoxe et ce motif est important dans la construction de l’ouvrage. Il apparaît à quatre reprises, sous des visages différents, dans l’Allegro initial. Dans le Final, puisque Faust a suivi le chemin de Méphisto, le thème reparaît sous une forme très brutale, pareil à un verdict. Si Goethe termine en conduisant l’âme de Faust au paradis, Rachmaninov se comporte vis à vis de Faust comme le Commandeur avec Don Giovanni. On peut évidemment considérer la 1ère Sonate comme de la musique pure, tant sa force expressive est grande, mais les aspects que je viens d’évoquer sont très utiles pour mieux l’apprécier. »
Pourquoi entend-on si rarement la 1ère Sonate ? « C’est un ouvrage extrêmement difficile à mémoriser, constate Lugansky. Je connais quelques grands pianistes qui ont joué l’œuvre cinq ou dix fois avec partition et qui ont ensuite abandonné. Pour ma part je n’ai heureusement pas trop à me plaindre de ma mémoire. Et puis cette bonne demi-heure de musique requiert aussi une énorme énergie physique de la part l’exécutant – et un grand investissement chez les auditeurs. »
Retour à la version originale
Le public est plus familier avec la Sonate n°2 (1913), qui s’est installée au répertoire dans la version révisée par le compositeur en 1931. « La Sonate n°2 a été écrite peu avant la révolution russe. Il est passionnant de voir comment un grand artiste peut pressentir la catastrophe qui va se produire en Russie », souligne un interprète qui s’est épris de la version originale après avoir longtemps fréquenté la version de 1931. « Rachmaninov a effectué de nombreuses coupures pour arriver à cette nouvelle version. Comme beaucoup de pianistes, j’ai longtemps joué la version révisée. Après avoir entendu une ou deux fois la version originale, je me suis laissé convaincre par celle-ci et j’ai finalement réalisé ma propre version de Sonate n°2. Je suis parti de la version originale et j’y ai intégré des passages de la version révisée quand ils me semblaient pianistiquement plus satisfaisants. »
Un travail passionnant que l’on peut donc découvrir dans l’enregistrement que Lugansky a signé il y a peu. Pour l’instant, c’est dans la faustienne Sonate n°1 qu’il nous propose de le suivre, en concert, au cours d’un récital parisien au TCE au cours duquel on entend aussi le cycle Dans les brumes de Janacek et les fameux Impromptus op 142 de Schubert.
Le bonheur n’est d’ailleurs pas que pour les Parisiens, après Aix-en-Provence il y a peu, le pianiste se produit à Bordeaux (6 février) et à Orléans (9 février), juste avant le TCE. Deux jours plus tard, c’est Bruxelles qui savourera son programme Janacek/Schubert/Rachmaninov (le 13 février), au Palais des Beaux-Arts où le Russe est « artiste en résidence » cette saison.
Alain Cochard
(Entretien avec Nicolaï Lugansky réalisé le 19 novembre 2012)
(1) 1 CD Ambroisie/Naïve (AM 208)
Récital de Nikolai Lugansky
Œuvres de Janacek, Schubert, Rachmaninov
6 février 2013 – 20h
Bordeaux – Auditorium
www.opera-bordeaux.com
9 février 2013 – 20h30
Orléans – Salle de l’Institut
fortissimo-orleans.tumblr.com
11 février 2013 – 20h
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
13 février 2013 – 20h
Bruxelles – Palais des Beaux-Arts/ Salle Henry Le Bœuf
www.bozar.be
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Photo : DR
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