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Création d’Akhmatova de Bruno Mantovani à la Bastille - La poésie est dans la fosse - Compte-rendu
Après un premier opéra en 2006, L’Autre côté, d’après la vie et les écrits du dessinateur et écrivain Alfred Kubin, le deuxième ouvrage lyrique de Bruno Mantovani s’attache au personnage de la poétesse Anna Akhmatova, figure emblématique de la poésie russe au xxe siècle en même temps que symbole de la résistance quotidienne – à la dictature stalinienne, à la guerre, aux privations, à l’air du temps.
Le livret qu’a écrit Christophe Ghristi, directeur de la dramaturgie à l’Opéra de Paris, porte cette tension entre la poésie et le quotidien qui est au cœur de l’ouvrage, au cœur même de la construction du personnage principal. Onze scènes, réparties en trois actes, constituent les épisodes de la vie de la poétesse sans qu’il soit question de continuité, de linéarité ou encore moins d’exhaustivité biographique.
Cependant, jamais l’opéra ne se place sur un plan autre que celui de la narration théâtralisée, ce qui amène Bruno Mantovani à ne jamais s’écarter, pendant près de deux heures, d’une sorte de conversation en musique, quoiqu’il dise avoir voulu faire un opéra plus lyrique, plus chanté que ne l’était L’Autre Côté. Le résultat en est un opéra très cohérent dans sa forme générale, sans temps mort et qui tient bien dans la durée, mais assez monochrome. La mise en musique des scènes ni le chant n’apportent que rarement des surprises. On retiendra cependant la première scène de l’acte II où deux chants se superposent : la poésie d’Akhmatova que chante sa confidente, l’écrivain Lydia Tchoukovskaia, tandis que la poétesse déclame des banalités (« L’automne est bien précoce cette année / Les arbres n’ont déjà plus de feuilles »), ensevelissant les beautés subversives du langage sous le parler quotidien.
La distribution des voix est assez classique : mezzo-soprano pour Anna Akhmatova comme pour l’écrivain Lydia Tchoukovskaia, qui agit comme son double ; le fils est un ténor, le représentant de l’Union des écrivains un contre-ténor… De fait, aucun interprète ne se distingue vraiment, pas même l’Anna de Janina Baechle, vaillante mais quelque peu impersonnelle, ni la Lydia de Varduhi Abrahamyan, dans le rôle reste dans l’ombre de la protagoniste. Cette harmonie générale, qui n’échappe pas à une certaine grisaille, est rejointe par la sobre mise en scène de Nicolas Joel et surtout par les décors de Wolfgang Gussmann. Le ton en est donné par le portrait épuré que Modigliani fit de la poétesse, que l’on retrouve de scène en scène.
L’intérêt musical demeure, lui, toujours en éveil. C’est dans l’écriture orchestrale – qui s’est encore affinée depuis L’Autre Côté – que réside l’invention. Comme dans le superbe Concerto pour alto de 2009, le compositeur parvient à faire reposer tout un édifice orchestral sur le jeu de solistes. Les cordes, la clarinette, l’accordéon, les percussions contribuent ainsi à créer l’atmosphère propre à chaque scène. On retrouve également le goût assez systématique du compositeur pour les sonneries de cuivre relevées par les percussions, en particulier dans les transitions entre scènes. Parfait interprète de la musique de Bruno Mantovani, Pascal Rophé dirige l’œuvre avec une aisance et un enthousiasme remarquables, qui ont visiblement convaincu les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra.
La dernière scène de l’opéra est constituée par un long épilogue orchestral, conclu par quelques vers de la poétesse. Bruno Mantovani, libéré de la contrainte des mots et du chant, y retrouve ce monde de l’orchestre qui est véritablement sien. Et c’est ainsi qu’il fait rayonner la poésie d’Akhmatova, si longtemps contenue.
Jean-Guillaume Lebrun
Bruno Mantovani : Akhmatova – Paris, Opéra Bastille, 28 mars (création). Prochaines représentations les 31 mars, 2, 6, 10 et 13 avril 2011
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Photo : Elisa Haberer / Opéra national de Paris
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