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​Cyprien Keiser & Ilan Zajtmann à la Salle Cortot – Du feu et du style – Compte rendu

 
Depuis la sortie d’un récital Chopin enregistré en 2020 (pour le label La Grange à Sons), le nom d’Ilan Zajtmann (né en 2001) a commencé à circuler parmi les observateurs les plus attentifs à l’émergence des nouveaux interprètes. Nous l’avions pour notre part découvert en septembre dernier dans la série Piano Passion à Saint-Julien-le-Pauvre (1), époustouflant d’engagement et de liberté dans des pages de Chopin et de Liszt, et retrouvé un peu après à Cortot où, invité par Les Pianissimes, il s’était à nouveau distingué en solo, puis à deux pianos avec Sacha Morin dans la Sonate en fa mineur op. 34b de Brahms, magistralement construite et vécue.
 
Ancien élève de Florent Boffard, Roger Muraro et Marie-Josèphe Jude pour la partie française de ses études (CNSMD de Lyon puis de Paris), mais aussi de Boris Berman outre-Atlantique (à Yale, de 2020 à 2023), Ilan Zajtmann se distingue par la richesse de sa sonorité et son art de la narration (on n’est pas près d’oublier la fulgurante 2ème Ballade de Chopin qui figurait dans son récital de Saint-Julien-le-Pauvre), par son sens de l’écoute aussi.
On l’a mesuré lors de son dialogue brahmsien avec son collègue et ami Sacha Morin (autre jeune talent, deux deux ans le cadet de Zajtmann, dont vous ne tarderez pas à entendre parler ...), mais aussi, récemment, à Cortot à nouveau, avec un autre partenaire de longue date, rencontré à l’époque des études au CNSMDP : le violoncelliste luxembourgeois Cyprien Keiser. Formé par Jérôme Pernoo, puis Clemens Hagen et Lionel Cottet, Keiser, sitôt l’archet posé sur la corde, retient immédiatement l’attention par la plénitude et la vocalité de son expression.
 
L'entente avec Zajtmann se vérifie d’emblée dans une très belle transcription (signée C. Keiser) du lied Auf einer Burg de Schumann (n° 7 du Liederkreis op. 39). Prenante et troublante poésie : en quelques instants l’auditeur oublie la tension et le tumulte parisiens, pour mieux se concentrer sur la musique ...
Suit la Sonate pour violoncelle et piano op. 119 de Prokofiev, que ce dernier destina à Rostropovitch. Une partition débordante de contrastes où Cyprien Keiser peut compter sur l’accompagnement très vivant de son partenaire pour bâtir une interprétation qui saisit idéalement la variété des climats de l’ouvrage, que ce soit dans le thème et variations du premier mouvement ou dans le Moderato central, très chorégraphique, dont le charme mélodique se déploie aussi bien ici que l’humour narquois. On n’est pas moins séduit par le finale, remarquable de dynamisme dans l’échange entre les deux instrumentistes !
 
Retour à la musique allemande en seconde partie avec d’abord les Phantasiestücke op. 73 de Schumann. Le mouvement d’abandon de l’âme que l’on ressent dès l’attaque du n° 1 dit combien Zajtmann et Keiser sont immédiatement au cœur de leur sujet. La caractérisation n’est pas moins remarquable dans le n°2, tout de souriante légèreté, ou le n°3, fougueux et farouche à souhait.
À Felix Mendelssohn revient la conclusion avec la Sonate pour violoncelle et piano n° 2. D’un feu impatient – mais totalement maîtrisé – l’Allegro vivace s’élance et embarque immédiatement l’auditeur. Sans le moindre temps mort jusqu’au tourbillon heureux de l’Allegro molto vivace final, cet Opus 58 éblouit par sa jeunesse, son élégance et son naturel, sa poésie aussi (magnifique Adagio e lento !), et emporte l’adhésion du public – gratifié en bis de goûteuses Danses roumaines de Bartók.
 
Alain Cochard
 

(1) série où il y a toujours beaucoup de jeunes interprètes à découvrir : www.pianopassionparis.net/programmation

 
Paris, Salle Cortot, 20 février 2025
 
Photo ©

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