Journal
Das Rheingold à l’Opéra Bastille - Or pur - Compte-rendu
Dès la tenue du Prélude, fluide et sonore, tout est dit : Philippe Jordan (1), comme on le pressentait dans un tout récent Götterdämmerung, a finalement trouvé son chemin en Wagner. L’orchestre est toujours aussi somptueux, léché, « karajanisé », mais mordant aussi, vif surtout, il devient ce que Wagner voulut qu’il soit d’abord : un personnage dramatique, un acteur à part entière, décisif même dans ce qui se déroule sur la scène et qui doit mettre en valeur les proportions parfaites de l’ouvrage : Wagner, en son Rheingold, a maîtrisé comme jamais sa si singulière conception du temps musical. On admire d’autant plus sans frein le travail de P. Jordan qu’on a ici même souvent émis les réserves que l’on sait, et on espère déjà beaucoup du Tristan qu’il dirige la saison prochaine.
Portée par cet orchestre inspiré qui enfin lui offre des tempos appropriés, toute la troupe de cette « petite comédie », comme Wagner appelait avec affection son Rheingold, s’est surpassée. Incroyable Alberich de Peter Sidhom qu’on avait trouvé terriblement usé voici peu dans le Götterdämmerung et qui a retrouvé toute sa voix. L’acteur est prodigieux, c’est probablement lui qui est l’inspirateur de cette fièvre qui a emporté toute la soirée. On n’a que des lauriers à décerner, d’abord à la Fricka si éloquente, tour à tour venimeuse et charmeuse de Sophie Koch, mais aussi au Froh si sonore et si finement joué de Bernard Richter, au Mime anthologique de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, à la Freia de grand format, si justement émouvante, d’Edith Haller, au très tendre Fasolt amoureux de Lars Woldt (alors que Günther Groissböck montrait autant de largeur d’épaule qu’une voix inexplicablement fermée), à l’impeccable Erda de Qiu Lin Zhang, à un trio de Filles du Rhin brillantissime, au Froh stentorien de Samuel Youn, et il faut reconnaître qu’Egils Silins a l’exact format du jeune Wotan. Une palme ? Elle sera pour le Loge impayable de Kim Begley, grand numéro d’acteur doublé d’un art du parlando wagnérien puissamment expressif.
Le spectacle reste ce qu’il est, factuel, habile, parfois inspiré (au Niebelheim surtout), en tous cas absolument lisible. On regrette à postériori de ne pas suivre les prochains épisodes de cette Tétralogie qui se file les trois jours suivants, mais si vous le pouvez, et si vous trouvez encore des places, n’hésitez pas.
Jean-Charles Hoffelé
(1) Philippe Jordan vient de résumer en un subtil abécédaire son expérience de chef lyrique dans un bref ouvrage : « Les 100 Mots de l’Opéra » ; il y revient souvent sur son travail au sein de La Grande Boutique. Eclairant, d’autant que pour un chef d’orchestre la démarche est plutôt inédite (en collaboration avec Emmanuelle Josse, PUF, collection Que sais-je ?, 127 p.). Enfin, rappelons que le Pelléas et Mélisande de Debussy selon Bob Wilson, dont nous écrivions tant de bien à l’occasion de sa reprise sous la direction de Philippe Jordan, est paru en DVD, finement capté par Philippe Béziat (1 DVD Naïve –Opéra de Paris EDV 1057).
Richard Wagner : L’Or du Rhin –Paris, Opéra Bastille, 18 juin 2013
www.operadeparis.fr
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Photo : Opéra national de Paris/ Charles Duprat
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