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Les Contes de Perrault de Félix Fourdrain à l’Opéra de Reims - Promenons-les dans les bois - compte rendu

On pensait naïvement qu’il avait fallu attendre les années 1980, et Into the Woods de Stephen Sondheim, pour qu’une œuvre musicale s’empare des personnages de contes de fées les plus connus et les réunisse au sein d’une intrigue nouvelle. Erreur ! Dès Noël 1913, c’est exactement ce que faisait la « féerie lyrique » intitulée, de manière tout à fait explicite, Les Contes de Perrault, où se côtoient allègrement le Petit Poucet, Cendrillon, Peau d’Âne et la Belle au bois dormant, ces trois dernières héroïnes ne faisant plus qu’une, selon l’action imaginée par messieurs Arthur Bernède et Paul de Choudens. L’étiquette fait néanmoins hausser le sourcil : l’œuvre s’inscrit-elle dans le cadre de cette mode qui, vers 1900, a vu une floraison d’opéras dont seule la Cendrillon de Massenet est revenue à l’affiche (mais la Compagnie de l’Oiseleur a ressuscité en 2017 l’exquise Belle au bois dormant de Guy de Lioncourt, et le Palazzetto Bru Zane vient d’enregistrer celle de Charles Silver) ?

(c) Fabrice Robin
Et en abordant la féerie, genre qui eut son heure de gloire dans les années 1870, Les Frivolités Parisiennes s’écartent-elles de leur répertoire d’élection ? Non, faut-il répondre dans les deux cas, car par l'esprit de sa musique comme de son livret, Les Contes de Perrault ressemble plus à une opérette, soit le cœur de cible de LFP. Evidemment, les photographies d’époque laissent imaginer un spectacle fastueux, avec beaucoup de monde sur le plateau, et il n’est hélas plus question de renouer avec cette opulence, mais en confiant cette production à Valérie Lesort, il s’agissait sans doute en partie de renouveler la réussite d’Ercole amante. Pari gagné, notamment grâce aux costumes colorés et aux décors en papier découpé de Vanessa Sannino, à l’imagination toujours aussi débordante. A ces personnages bien connus, qui ressemblent ici parfois à des figures de jeu de cartes, Valérie Lesort impose des déplacements à la contrainte aussi féconde que la chorégraphie de Nijinski pour L’Après-midi d’un faune, un an avant la féerie de Fourdrain : tout le monde se déplace latéralement sur le plateau, avec des effets comiques garantis. Les textes parlés ont été révisés par la metteuse en scène, pour en retrouver l’insolence – réelle, mais qui avait un peu vieilli – et, peut-être, pour toucher plus facilement le jeune public auquel ces représentations seront au moins en partie destinées.

(c) Fabrice Robin
La partition a elle aussi été un peu élaguée, mais l’on en entend malgré tout la majeure partie, dirigée avec entrain par Dylan Corlay, et l’Opéra de Reims, où commence la tournée, donne à voir le spectacle sur un plateau large, dans un théâtre doté d’une grande fosse : à l’Athénée, ce sera nécessairement une version plus comprimée qui sera proposée. Deux danseurs et un chœur de huit chanteurs permettent d’occuper et d’animer la scène au cours des nombreux tableaux que compte la soirée. Et l’on retrouve parmi la douzaine de solistes un certain nombre d’artistes à la solide personnalité, dont quelques habitués des productions LFP. Belle découverte avec Anaïs Merlin, au timbre suave mais actrice cocasse lorsqu’elle se métamorphose en paysanne, à qui échoit le rôle le plus important de la soirée, celui de Cendrillon, auquel a été ajouté celui du Petit Poucet. En effet, à notre époque pourtant résolument non binaire, il a été décidé de faire interpréter par un homme le Prince Charmant (c’est-à-dire Poucet transformé).
Enguerrand de Hys consacre ici tout son talent à affronter un rôle créé par Yvonne Printemps, et se montre très drôle lorsqu’il devient Riquet à la Houppe, mais l’on peut imaginer que ce changement de tessiture modifie l’équilibre des duos – même si, très curieusement, la partition stipule que Cendrillon, elle, peut être confiée à une soprano ou à un ténor !!! Julie Mathevet prête de bien jolis aigus à la fée, un peu moins virtuose que celle de la Cendrillon de Massenet, et Lara Neumann ne fait qu’une bouchée de Madame de Houspignoles, digne parente de Madame de la Haltière. En père de Cendrillon, Philippe Brocard se fait mari soumis, mais il peut laisser s’exprimer toute sa verve lorsqu’il est Barbe-Bleue et chante l’air du Bicarbonate de soude, en duo avec Richard Delestre, souvent applaudi dans les spectacles LFP. Hortense Venot et Eléonore Gagey sont deux parfaites pimbèches en demi-sœurs de Cendrillon. Camille Brault charme les yeux et les oreilles en Chat botté, tandis que Romain Dayez en fait des tonnes en méchant Olibrius. Lucile Komitès et Geoffroy Buffière, enfin, incarnent avec humour les parents du Petit Poucet devenus reine et roi.
Laurent Bury

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Félix Fourdrain, Les Contes de Perrault. Opéra de Reims, vendredi 28 mars, 20h. Deuxième représentation le 30 mars ; le spectacle sera ensuite donné à Paris (Athénée Théâtre Louis-Jouvet) du 4 au 17 avril, à Tourcoing, à Compiègne et à Dijon
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