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David Kadouch, Hervé Niquet et l’Orchestre de chambre de Paris – Marie Jaëll, l’audacieuse – Compte-rendu
Nom oublié de la musique française du siècle romantique, Louise Bertin (1805-1877) aura été présente dans les programmes de fin de saison grâce au Palazzetto Bru Zane. Son 10e Festival parisien a permis de découvrir le surprenant opéra semi-seria Fausto (1831), sous la direction de Christophe Rousset (1), et d’entendre trois jours plus tard l’ouverture de l’opéra-comique Le Loup-Garou (1827) en introduction du programme « Compositrices » de l’Orchestre de chambre de Paris mené par l’un de ses chefs invités favoris : Hervé Niquet.
L’épisode initial du premier ouvrage lyrique de la compositrice représenté publiquement apparaît tout différent de celui Fausto. Infiniment plus ramassé (cinq bonnes minutes), il présente un mélange réussi de tendresse et de piquant (avec de belles interventions de la flûte et du hautbois) que Niquet et les musiciens de l’OCP enlèvent avec un plaisir visible - on serait curieux d’entendre la suite de ce Loup-Garou ... Le plaisir n’est pas moins vif dans les Grandes variations sur un thème du comte Gallenberg op. 25 de Louise Farrenc. De 1825 – au mitan d’une décennie qui révolutionna la facture instrumentale ; le double échappement d’Erard fut breveté en 1823 – la pièce, de la plume d’une ancienne élève de Moscheles et Hummel, se situe dans l’exacte lignée stylistique de deux auteurs dont l’influence a beaucoup contribué à l’émergence de la virtuosité romantique à partir de 1830. David Kadouch (photo) ne fait qu’une bouchée des chausse-trapes qui parsèment la partition. Se gardant bien de chercher à lui faire dire plus qu’elle ne contient, il en livre une interprétation brillante, élancée et pleine de chic, portée par l’accompagnement très vivant de Niquet.
De vigueur, ce dernier n’en manque pas dans La Nuit et l’Amour d’Augusta Holmès, épisode tiré de Ludus pro Patria, au point que cette ardeur gomme par trop la dimension nocturne et sensuelle du morceau. Sa baguette fait merveille en revanche dans la charmeuse valse Du cœur au lèvre de Jeanne Danglas : l’orchestre pétille tels les yeux d’un gamin plongeant la main dans une boîte de bonbons. Gourmandise et peps sont autant de mise dans la Suite en forme de valses op. 35-39 de Mel Bonis (1898), initialement conçue pour piano à quatre mains et orchestrée dans la foulée par l’autrice.
Deux extraits symphoniques (Entracte et Danse ukrainienne) de l’opéra Mazeppa de Clémence de Grandval, musique à l’instrumentation fruitée, ouvrent la seconde partie et mènent à la conclusion – et plat de résistance ! – du concert : le Second Concerto pour piano (1884) de Marie-Jaëll (1848-1925). Hervé Niquet, qui a déjà dirigé et enregistré (avec Xavier Phillips) le chambriste Concerto pour violoncelle de la compositrice alsacienne (2), a ici affaire à une partition de caractère bien différent.
Liszt admirait Jaëll et excerça une grande influence sur elle ; c’est un fait et cela se s’entend ! Reste qu’il serait un peu court de résumer la compositrice au qualificatif « post-lisztien » ; confondre les moyens techniques mis en œuvre et l’essence du propos. Jaëll, créatrice dont on prend enfin la mesure, fut une incroyable expérimentatrice. Dix ans après le Concerto n° 2, elle terminait Ce que l’on entend, d’après Dante (2), cycle dont le modernisme – un parfait exemple de minimalisme musical – désarma les contemporains et poussa l’artiste à abandonner la composition. Le Concerto en ut mineur s’inscrit dans une même démarche novatrice, témoigne d'une même tension vers le futur.
D’un seul tenant, mu par un prenant souffle symphonique, il ne relève pas de la surabondance mélodique que l’on trouve dans nombre de réalisations concertantes post-romantiques. C’est par l’exacerbation du trait, par la réitération de certaines formules rythmiques que le Concerto en ut mineur parvient à ses fins. Reste à trouver des pianistes capables de s’investir corps et âme dans cette œuvre effroyablement difficile. Avec le concours d’une baguette et d’une formation pas moins engagées que lui, David Kadouch relève admirablement le défi sur un instrument lumineux mais nullement clinquant, idéalement adapté à une écriture qui, ce n’est pas l’aspect le moins déroutant de la pièce, fait énormément appel à l’aigu et au suraigu du clavier. Pour un résultat proprement magnétique sur l’auditoire : les applaudissements en disent long à ce propos ...
Un extrait de Das Jahr de Fanny Mendelssohn et une autre valse de Jeanne Danglas tiennent lieu de bis et referment une soirée aussi découvreuse qu’aboutie.
Alain Cochard
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 23 juin 2023 // Festival PBZ à Paris, jusqu’au 4 juillet : bru-zane.com/fr/
(1) www.concertclassic.com/article/fausto-de-louise-bertin-au-theatre-des-champs-elysees-festival-palazzetto-bru-zane-2023
(2) Dans le volume 3 des Portraits du PBZ, où l’on trouve aussi les deux concertos pour piano, dirigés par Joseph Swensen, avec Romain Descharmes (Cto n°1) et David Violi (Cto n° 2), 3 CD PBZ
(3) Un ouvrage dont Célia Oneto Bensaid a signé un premier enregistrement intégral – de très haut vol ! – pour le label Présence Compositrices ( 1CD PC 001), réussite confirmée en public à la salle Cortot en février dernier/ www.concertclassic.com/article/celia-oneto-bensaid-en-recital-la-salle-cortot-saison-pro-musicis-marie-jaell-en-perspective
Photo © Valentine Chauvin
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