Présenté le 10 janvier dernier à la Maison de la Musique de Nanterre, Der Kaiser von Atlantis de Viktor Ullmann (1898-1944), bref et singulier opéra en un acte composé en 1943 au camp de Terezin, arrive après un passage à l’Opéra de Reims, sur la scène de l’Athénée (du 24 au 30 janvier). Louise Moaty signe la mise en scène à la fois noire et poétique de cette nouvelle production de l’Arcal, représentative de l’esprit dans lequel travaille la compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, fondée en 1983 par Christian Gangneron, dont Catherine Kollen a pris la direction en 2009. Mettre musique et théâtre sur un pied d’égalité, cultiver la pluridisciplinarité, chercher de nouveaux publics, montrer l’universalité de l’opéra : telle est la philosophie qui guide l’Arcal depuis l’origine.

La compagnie n’hésite pas à se lancer dans des projets parfois inattendus, telle cette assez époustouflante Histoire du Soldat mise en scène par Jean-Christophe Saïs (en 2011) dans laquelle le rôle du Diable est tenu par le chef d’orchestre, Laurent Cuniot en l’occurrence (ce spectacle fera l’objet d’une ultime reprise à l’automne prochain). La résidence de l’Arcal en Champagne-Ardenne l’a par ailleurs amenée à collaborer avec l’Institut International de la marionnette de Charleville-Mézières et à intégrer les marionnettes dans une production, remarquée elle aussi : le Caligula de Pagliardi, mis en scène par Alexandra Ruebner et Mimmo Cuticchio et placé sous la direction musicale de Vincent Dumestre.

Situation délicate que celle de l’Arcal en ce moment. « Nous traversons une période paradoxale, remarque Catherine Kollen, nous n’avons jamais eu autant de succès et autant de difficultés financières. Sur 2014-2106, nous sommes dans une mutation de notre structure de financement. C’est un gros tiers de nos subventions – toute notre marge artistique – qu’il va falloir retrouver et je suis soucieuse. Ce d’autant que les projets lyriques se montent très à l’avance. Nous avons décidé en juin dernier de terminer sur trois ans la résidence en Champagne-Ardenne (qui représentait un tiers de nos financements) et de nous recentrer sur l’Île-de-France. Nous sommes dans une mue difficile ; nous savons ce que nous perdons mais pas encore comment nous allons retrouver des marges de financement. Nous avons des directions de travail, notamment l’idée de recreuser le terrain département par département et d’en choisir certains pour y établir des résidences et rayonner aussi bien dans les théâtres qu’en milieu rural. » Faire appel au mécénat d’entreprise ? « J’ai beaucoup travaillé sur ce domaine dans mes précédentes fonctions à Royaumont et à Opera con Fuoco, explique Catherine Kollen, le mécénat baisse en ce moment et l’on court le risque de passer un temps faramineux pour un résultat très maigre. Le mécénat peut constituer un complément mais il nous faut assurer notre structure de financement autrement.»

Quant à la politique artistique, « après trois ou quatre années d’exploration pluridisciplinaire », la directrice de l’Arcal souhaite, « tout en conservant cette orientation, relier les spectacles à un sens global. L’Empereur d’Alantis s’inscrit ainsi dans une réflexion plus large sur “la résistance à la barbarie par les arts“. Il me semble de plus en plus important que le temps de la rencontre du public avec l’œuvre se prolonge. Dans notre monde où tout va trop vite, il faut savoir garder le luxe du temps, de la réflexion. A L’Empereur d’Atlantis succédera Brundibár, opéra pour enfants de Hans Krása en avril à Reims. Ce choix est né de la volonté d’aller auprès des enfants pour parler de cette période historique et du rôle qu’y ont joué les arts. Nous avons remporté un succès phénoménal et reçu énormément de demandes venant notamment des classes de 3^ème qui, dans la catégorie « histoire des arts » abordent le thème « Art, Etat, Pouvoir » cette année. Louise Moaty a déjà travaillé avec des enfants, elle a adoré l’œuvre et nous sommes lancés dans un projet impliquant une centaine d’enfants, du CM1 à la 3^ème, plus quelques éléments venant du lycée. C’est donc une aventure théâtrale et musicale qui dure toute l’année. Nous donnerons Brundibár le 10 avril à l’Opéra de Reims. Lors de la reprise de L’Empereur d’Atlantis l’an prochain j’aimerais reprendre Brundibár aussi dans des lieux où nous souhaitons mener un travail plus approfondi. Nous avons trouvé des mécènes autour de ce projet, la Fondation Orange et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, ce qui démontre que, sur des projets très identifiés, on peut réussir à obtenir du mécénat.»

Capter et diffuser les spectacles ? « Nous avons essayé plusieurs fois, sans succès. Nous sommes allé voir Arte, la chaîne franco-allemande, pour L’Empereur d’Atlantis et l’on nous a répondu que ce n’était pas assez commercial… Mezzo montre une grande frilosité également», constate Catherine Kollen avec regret.

Dominée par les personnalités du baryton Pierre-Yves Pruvot (L’Empereur) et de la basse Wassyl Slipak (La Mort, Le Haut-Parleur), que l’on découvre aux côtés de Sébastien Obrecht, Natalie Perez et Anna Wall, la production de L’Empereur d’Atlantis occupe l’affiche de l’Athénée pour quatre représentations, dirigées par Philippe Nahon à la tête de son Ensemble Ars Nova. On notera enfin que (le 28 janvier à 20h) Pierre-Pruvot interprète un programme de lieder composés à Terezin.

Quant aux futures productions de l’Arcal, outre un projet pour les tout petits autour du thème des familles recomposées, on guettera sur 2014-2015, une Armida de Haydn mise en scène par Mariame Clément et dirigée par Julien Chauvin, et Zazie de Matteo Franceschini, ouvrage qui donnera l’occasion au metteur en scène Christian Gangneron de retrouver l’Arcal.
 
Ullmann : Der Kaiser von Atlantis (opéra en un acte)
24, 25, 29, 30 janvier – à 20h
Paris – Athénée Théâtre Louis-Jouvet
http://www.athenee-theatre.com/
La tournée de L’Empereur d’Atlantis se poursuit à Niort (Moulin du Roc, 11/02), Poitiers (TAP 13/02), Massy (Opéra, 5/04) et Saint-Quentin-en-Yvelines (Scène Nationale, 9/04/2014)
Site de l’Arcal : http://www.arcal-lyrique.fr/html/nous.php

Photo © Nathaniel Baruch