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Dialogues des Carmélites à l’Opéra de Rouen – Ardente sororité – Compte rendu
Deux yeux grands ouverts fixent le public. En guise de rideau de scène, un écran pixelisé projette des extraits de discours politiques et législatifs de la Révolution française. Tiphaine Raffier, la metteuse en scène, les a subtilement sélectionnés pour scander les tableaux de ces Dialogues. Résolument moderne, elle ancre son récit dans une communauté où l’appartenance chrétienne est modérément suggérée. Les habits des religieuses rappellent ceux, séculiers, des nonnes d’aujourd’hui. Quant au voile, son usage ici surprendra, incitant à la réflexion.
© Caroline Doutre
Pas de grâce ou de martyre, il est avant tout question de filiation et de sororité dans cet espace cruel, délabré, où les tinettes béantes et les murs austères imposent une atmosphère oppressante. Le calcaire a jauni les douches et le salpêtre rongé les gouttières. Madame de Croisy, en nuisette d’hôpital, meurt sur un brancard après une scène d’un réalisme saisissant. Point de métaphysique, mais l’incarnation brute de la peur de mourir. Lucile Richardot nous la livre à la perfection : hantée, habitée, percutante et déchirante, avec cette fabuleuse diction qui fait sa marque.
© Caroline Doutre
Axelle Fanyo (Madame Lidoine), malgré une puissance vocale indéniable, force trop, sacrifiant la clarté de la prosodie. Eugénie Joneau incarne une Mère Marie implacable et cinglante, qui s’impose avec autorité, tout comme Aurélia Legay en Mère Jeanne. Emy Gazeilles insuffle à Sœur Constance l’éclat et le mordant nécessaires. Quant à Blanche de La Force, incarnée par Hélène Carpentier, d’abord crispée, elle plonge rapidement dans la fragilité exaltée de son personnage. Julien Henric lui donne la réplique dans un duo bouleversant. Impressionnant de prestance et de timbre, Jean-Fernand Setti se dédouble avec brio en Marquis de La Force puis en Geôlier.
Ben Glassberg © Gerard Collett
Tout aussi impeccables, François Rougier en Aumônier, Matthieu Justine et Jean-Luc Ballestra incarnent des commissaires révolutionnaires glaçants, évoquant des bourreaux surgis d’un enfer contemporain. L’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie vibre sous la baguette nerveuse et lyrique de Ben Glassberg, livrant un Salve Regina final bouleversant, où chacune aura littéralement mouillé sa chemise.
Vincent Borel
Poulenc : Dialogues des Carmélites - Rouen, Théâtre des Arts, 1er février 2025 //
www.operaderouen.fr/programmation/dialogues-des-carmelites/
Photo © Caroline Doutre
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