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Didon et Enée selon Franck Chartier au Grand Théâtre de Genève (Streaming) – Désensablage à prévoir – Compte-rendu
Au Grand Théâtre de Genève, Aviel Cahn a fait appel au chorégraphe Franck Chartier. Son intervention ayant doublé la longueur normale de l’œuvre, le contrat est rempli. Qu’il ait choisi de transformer Didon et Enée en une sorte de cauchemar surréaliste, où la reine de Carthage se rappelle son idylle, plus de trente ans après le départ d’Enée, pourquoi pas. Que le palais soit peu à peu envahi par des quintaux de sable qui surgissent de partout, soit. Que le spectacle inclue nudité frontale, copulation et cannibalisme, chacun sera libre d’apprécier selon son goût, sans parler de certains gags un peu délayés. Le vrai problème, qui rappelle un peu le traitement réservé à La Flûte enchantée par Romeo Castellucci, c’est le sort de la musique. Remarquable par sa concision, la partition de Purcell compte parmi les toutes premières œuvres intégralement chantées à avoir été composées en Angleterre. Or, la production genevoise ne se contente pas de lui ajouter un prologue, mais imagine un spectacle parlé et dansé (et même aboyé, parfois) dans lequel on retrouve éparpillés les différents numéros de la partition, jointoyés par les accords et grincements imaginés par Atsushi Sakaï. Dès lors, qu’importe que les interprètes soient excellents, Purcell devient un ingrédient parmi tant d’autres, objet d’un saupoudrage qui fait parfois trouver le temps bien long quand sa musique disparaît (même si l’on entend à un moment Enée chanter « O Solitude », brutalement interrompu à plusieurs reprises).
C’est dommage car, on le répète, le plateau réunit des artistes de premier plan, et pas seulement parmi les chanteurs. Les danseurs de la compagnie Peeping Tom sont stupéfiants de souplesse et de versatilité. Le décor est réussi, divisé en deux parties superposées, palais surmonté d’une sorte de parlement où se tient le chœur. Les éclairages ménagent quelques effets spectaculaires. Mais pour entendre Didon et Enée, il faut désensabler Purcell de tout ce qui lui est ici surajouté. On le regrette d’autant plus que les choix d’Emmanuelle Haïm à la tête de son Concert d’Astrée sont tout à fait convaincants, notamment en matière d’ornementation dans tous les airs ; on savoure les couleurs de l’orchestre et du chœur, les rythmes et les contrastes proposés.
Par la beauté de son timbre autant que par son jeu, Jarrett Ott parvient à faire exister Enée, ce qui n’est pas toujours le cas (l’air du marin lui est également attribué). Marie Lys est une Deuxième Dame à la virtuosité séduisante, et Emöke Baráth une Belinda de luxe, au timbre plein de fraîcheur. Dans un rôle qui n’a plus de secrets pour elle, enrichi de ceux de la Magicienne et de l’Esprit, Marie-Claude Chappuis se montre magistrale, sans le moindre histrionisme, avec une mort qui serait sans doute plus déchirante encore si elle n’était pas accompagnée, à l’arrière-plan, par la toilette intime du double âgé de Didon étendu nu sur son lit.
Laurent Bury
Photo © Carole Parodi
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