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Dijon - Les Boréades - Rameau sous anticyclone - Compte-rendu
En 2014, à Dijon, Barrie Kosky et Emmanuelle Haïm avaient enneigé d’or les chaussures de Castor et Pollux. L’enchantement allait-il se poursuivre pour la nouvelle rencontre du Concert d’Astrée avec le brillant australien ?
Il devient de bon ton de refuser sa dimension philosophique et maçonnique au dernier opus du Dijonnais. Louis de Cahusac, le librettiste, serait mort bien trop en amont de la Révolution, et Rameau par trop mathématicien pour s’intéresser à ces broutilles intellectuelles. L’œuvre fut pourtant censurée en 1763. Prévue pour célébrer la paix de la Guerre de Sept ans, on lui substitua Ismène et Isménias de Laborde. Rameau mourut l’année suivante.
Que raconte l’opéra ? En Bactriane Alphise est reine, régnante et célibataire. Les Boréades, Calisis et Borilée sont d’odieux nobliaux, par ailleurs prétendants officiels d’Alphise. Tous trois sont soumis à la loi de Borée, dieu du mistral n’autorisant le mariage qu’avec les seuls descendants de sa lignée. Alphise n’aime aucun des Boréades. Son cœur a choisi Abaris, un homme sans condition apparente. Elle abdique. Sa rébellion amoureuse provoque une vengeance durant laquelle Rameau anticipe Berlioz et Webern. Le royaume est mis à sac, Alphise torturée. Dans l’intervalle, les Lumières d’Apollon contribuent à sauver le monde par la grâce d’une flèche initiatique. C’était un peu compliqué à faire paraître devant la cour de Louis XV, traumatisée par l’attentat de Damiens commis sur le Bien-Aimé en 1757.
Ode à la liberté et au plaisir, critique à peine voilée de l’absolutisme, Jean - Louis Martinoty décrypta élégamment l’œuvre lors de sa création mondiale en 1982, à Aix en Provence. Depuis, Les Boréades n’a guère rencontré de lecture émoustillante. Karl-Ernst et Ursel Herrmann, lourds à Salzbourg en 1999. Laurent Laffargue, à l’Opéra du Rhin en 2005, en fit un cirque qu’Emmanuelle Haïm dirigeait. Robert Carsen privilégie l’esthétique pure, sous influence Pina Bausch, dans le DVD capté à l’Opéra Garnier en 2003.
© Gilles Abegg
À notre surprise Barrie Kosky, l’homme des vertigineux Maitres Chanteurs de Bayreuth 2017, évacue toute complexité. D’un côté, le monde des mortels, de l’autre les dieux. Sans surprise, l’omnipotent manipule l’homme. La mise en scène élimine Sémire, suivante de la reine, fondant le personnage avec Polymnie, Nymphe et Cupidon. La merveilleuse Emmanuelle De Negri, timbre de velours et soubrette jubilatoire, incarne et danse ce nouvel Amour soufflant littéralement sur les mortels, comme le fait Borée, devenu un punk sur le retour et dont Christopher Purves s’amuse.
Une boîte blanche surplombe le podium où s’agitent les mortels. D’un doigt, Cupidon l’ouvre et la referme. Un semblable espace était visible dans Castor et Pollux où les héros évoluaient « en boîte ». Ouverte vers le public, elle permettait alors aux voix de se projeter. Ici elle les domine et les étouffe. Un parti pris problématique dans l’Auditorium de Dijon à l’acoustique piégeuse. Au rang L, nous avons surtout perçu un tunnel sonore où s’étouffaient les audaces de la partition et la vaillance hallucinée d’Emmanuelle Haïm. Durant la beethovénienne tempête liant les actes trois et quatre, le chœur, Calisis, Adamas et Borilée se déplacent dans la salle. Le cotonneux sonna soudain articulé. Le trompétant Jouissons jouissons de Calisis (Sébastien Droy) s’était pourtant noyé dans la masse chorale quelques minutes avant. Question de profondeur de fosse, aussi.
Edwin Crossley - Mercer ( à la fois Apollon et Adamas, son grand prêtre ) s’impose quel que soit l’emplacement scénique. L’Alphise d’Hélène Guilmette (photo di-dessous) est impérieuse et charnue, le médium excepté. Kosky en fait un personnage aussi agité que son promis. Matthias Vidal pratique ici un chant inutilement exacerbé, aux nuances chaotiques. Sauf dans l’ultime duo avec Alphise où ce timbre, si beau lorsqu’il est apaisé, offre un peu de legato.
Hélène Guilmette (Alphise). © Gilles Abegg
On retrouve l’univers visuel du Castor de 2014. Katrin Lea Tag fait jaillir l’angoisse d’un trait de noir, tatoué ou projeté en ombre chinoise. Les déserts cendreux s’emplissent de créatures crochues et d’oiseaux incendiés. Les paillettes d’argent coulent du divin, pivoines et zinnias géants descendent de la boîte, mais cela reste un bouquet d’images savamment éclairées par Franck Evin. Une fois n’est pas coutume, le levain du spectacle c’est la chorégraphie d’Otto Pichler. Rameau s’y épanouit, patrimonial et cocasse, rustique et avant-gardiste, toujours surprenant de timbres et de rythmes. Les danses sont ponctuées de petits cris. Autant de lâchers de plaisir semblant paraphraser les premiers mots de la reine rebelle :
Dans ces jeux qu’on m’offre sans cesse,
Je regrette un heureux loisir,
On croit y voir briller une douce allégresse.
Mais bientôt la langueur y conduit la tristesse,
C’est l’ennui déguisé sous les traits du plaisir !
Vincent Borel
Opéra de Dijon, le 22 mars 2019.
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