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Don Carlos de Verdi à l’Opéra de Lyon - Descente aux enfers - Compte-rendu

De Don Carlos à Don Carlo, on sait qu’il y eut tout un jeu de remaniements, opérés par Verdi lui-même pour s’adapter aux diverses contraintes de l’époque. Celle choisie ici par l’Opéra de Lyon, est l’originale en français, de 1867, donnée bien évidemment avec le fameux acte de Fontainebleau, qui initie le drame et donne quelques éléments pour sa compréhension, même s’il n’est pas la partie musicale la plus palpitante de l’œuvre. D’emblée, on constate que Verdi, obsédé par l’idée du grand opéra à la française, dont Meyerbeer était le maître, parvient fort bien à lui ressembler. Et affaire de goût, sans doute, l’œuvre qui s’emploie plus à descendre dans les méandres du drame de Schiller qu’à trouver un rythme, pèse encore bien davantage sans le secours de la langue italienne, laquelle parvient à l’alléger.
 
Mais rien ne peut ôter de sa portée poignante à ce sombre chef-d’œuvre, déroulé en une série d’affrontements terribles, et que scandent quelques scènes spectaculaires, tout comme les trompettes d’Aïda relèvent pour un moment le déroulement d’un drame intimiste lui aussi.
Christophe Honoré a épousé cette version jusque dans ses tréfonds et sa vision est plus qu’intéressante, dans sa grisaille perpétuelle, juste ponctuée par les flammes de l’autodafé. Tout n’y est que nuit, costumes discrets de Pascaline Chavanne, décors d’une austérité d’acier, signés Alban Ho Van,  avec le splen  dide panneau du Christ en croix qui domine la scène au couvent de Saint-Just, éclairages oppressants de Dominique Bruguière, même quand le livret évoque bosquets et jardins fleuris.
@ Jean-Louis Fernandez

Tenue avec rigueur, cette option noire de jais se défend, à l’exception de quelques trucs pour épater la galerie, ainsi Eboli qui a troqué son bandeau noir pour une chaise roulante, et de quatre épaves humaines destinées au bûcher ou à la corde en guise de divertissement dans les jardins de la reine, se contorsionnant sur une chrographie macabre d’Ashley Wright. L’autodafé en revanche est une grandiose réussite, avec ses galeries de personnages superposées devant lesquelles pendent les martyrs de l’Inquisition, avant que les flammes ne balayent la sinistre mascarade.
 
La progression fatale de l’œuvre n’est que plus accentuée par la direction de Daniele Rustioni, qui joue le jeu avec une finesse analytique allant jusqu’au scalpel, et gagne en subtilité musicale ce qu’elle perd en chair. Un travail quasi chambriste qui enlève toute grandiloquence et fait que la presque tendresse que l’on peut ressentir pour le roi Philippe, écrasé par ses faux et vrais problèmes, disparaît sous cette minutieuse découpe. Reste aussi à regretter que les deux grandes et grosses voix de l’histoire, personnages énormes et redoutables, soient incarnés par deux chanteurs estimables et bien connus, Michele Pertusi en Philippe II et Roberto Scandiuzzi en Grand Inquisiteur, mais qui n’ont pas ou plus la densité dramatique qu’imposent leur rôles, manque sans doute accentué par la direction d’acteurs discrète de Christophe Honoré. En Don Carlos, Sergey Romanovsky déploie une voix émouvante et expressive, et l’excellent Stéphane Degout, lui très à l’aise dans cette version française qu’il aborde pour la première fois, campe un Posa de grande classe, un peu sage néanmoins. Quant aux dames, si Sally Matthews en Elisabeth ne satisfait pas par l’extrême vibrato d’une voix qui a dû être belle, la qualité du personnage qu’elle campe le compense, tandis que l’irrésistible Eve-Maud Hubeaux en Eboli emporte tous les suffrages par son abattage, malgré quelques faiblesses dans les aigus.
 
Quatre heures et sept minutes d’une musique gérée magistralement, jouée superbement, d’une action menée avec finesse : on en sort forcément déprimé autant qu’admiratif. Point n’est besoin de sorcières dans Don Carlos : elles sont là, tapies au plus profond de l’âme humaine et l’enchevêtrement infernal des passions qui conduisent les protagonistes à leur perte, porte la marque d’un désespoir total, que rien ne peut alléger, même l’artificielle fin imaginée avec le réveil d’un Charles Quint opportunément sorti de sa retraite pour sauver l’infant. Mais n’y a-t-il pas chez Schiller un soupçon de romantisme, n’y a-t-il pas chez Verdi cette même aspiration aux héros défenseurs des peuples opprimés, cet élan salvateur qui secoue par moments son opéra ? Ainsi administrée, l’œuvre en manque singulièrement.
 
Jacqueline Thuilleux

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Verdi : Don Carlos, -  Lyon, Opéra, le 17 mars ; prochaines représentations, les 22, 24, 28, 30 mars 2018. www.operadelyon.com
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