Hasard de la programmation, le théâtre de l’Athénée et l’Opéra de Rennes ont l’un et l’autre mis Claude Terrasse à l’affiche pour la période des fêtes. L’occasion pour beaucoup de faire connaissance avec un maître oublié de l’opérette.

Décembre 1896 : le public parisien découvre la musique de Claude Terrasse (1867-1923) dans des circonstances assez agitées… Une musique de scène du compositeur accompagne en effet la création d’Ubu Roi d’Alfred Jarry. Avec le peintre Pierre Bonnard, l’iconoclaste homme de lettres sera l’un des plus proches amis de celui qui s’impose parmi les grands maîtres de l’opérette française du début du siècle passé.

Depuis la disparition d’Offenbach, le grand éclat de rire s’y fait un peu rare et Terrasse va être à l’origine d’une renaissance de l’opéra bouffe. De sa première opérette La Petite Femme de Loth, écrite en 1900 sur un livret de Tristan Bernard, jusqu’au début de la grande guerre, le musicien multiplie les succès et dès 1903, au lendemain de la création du Sire de Vergy, Monsieur Croche alias Claude Debussy commence ainsi son compte-rendu dans les colonnes de Gil Blas : « A propos de la gloire naissante de M. Claude Terrasse, il est juste de se souvenir d’Offenbach, musicien dont le bizarre génie était composé de haine particulière pour la musique et de transcendantale ironie »(1).

L’abbé Bethléem a beau s’étrangler d’indignation et dénoncer une « singulière et sadique vision des hommes, des rois et des héros de l’antiquité grecque et latine », dès 1901, Terrasse emporte l’adhésion du public avec Les Travaux d’Hercule, opéra bouffe en trois actes sur un livret de Flers et Caillavet. Du 29 décembre au 1er janvier, l’Opéra de Rennes met cet ouvrage à l’affiche (une coproduction avec l’Opéra-Théâtre de Metz) dans une mise en scène d’Eric Chevalier. «Unique exemple d’une œuvre légère dont les héros sont tous affreux, bêtes, méchants, lâches, xénophobes, etc. », remarque ce denier, précisant par ailleurs que Les Travaux d’Hercule sont « sans doute la seule œuvre qui s’offre le culot de commencer par la fin ». L’ouvrage de Terrasse débute en effet par le chœur « Et maintenant la pièce est finie », tandis que le dépucelage des quarante-neuf filles du Roi Thespios n’intervient qu’au troisième acte ! Au chef Gwennolé Rufet revient le soin de conduire trois représentations de la goûteuse partition de Terrasse, avec les voix de Lionel Muzin, Bruno Guitteny, Olivier Naveau, Jean-Louis Poirier, Elisa Doughty, Stéphanie Pinard et Jean-Michel Fournereau.

A Paris, sur la scène de l’Athénée (du 26 décembre au 2 janvier), l’art de Claude Terrasse s’offre sous un visage plus modeste, moins déjanté et corrosif que dans Les Travaux mais ô combien charmeur, avec Chonchette, opéra bouffe en un acte(1902) où le musicien fait à nouveau appel au duo Flers et Caillavet. Ce délicieux vaudeville mettant en scène une jeune blanchisseuse très courtisée se trouve d’ailleurs en bonne compagnie puisque La Société Anonyme des Messieurs Prudents, ouvrage en un acte composé en 1931 par Louis Beydts sur un livret de Sacha Guitry, complète le programme.

Comme de coutume depuis plusieurs années maintenant à l’Athénée, la compagnie Les Brigands est à l’origine de ce spectacle de fin d’année. Mis en scène par Loïc Boissier et dirigés par Nicolas Ducloux (que l’on retrouve au piano entouré de quatre instrumentistes dans une réduction réalisée par Takénori Némoto), les deux ouvrages sont chantés par Emmanuelle Goizé, Gilles Bugeaud, Christophe Crapez, Christophe Grapperon et Jean-Gabriel Saint-Martin.

Alain Cochard

A toux ceux qui souhaitent en savoir plus sur Claude Terrasse, on recommande la consultation d’un site entièrement dédié au musicien et particulièrement bien documenté : http://www.claudeterrasse.net/

Les Travaux d’Hercule. Opéra de Rennes. Programme détaillé
La Société Anonyme des Messieurs Prudents/Chonchette, du 26 décembre au 2 janvier. Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Rés. : 01 53 05 19 19

(1) « Monsieur Croche et autres écrits » (Gallimard, p. 158)

Photo : DR