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Esa-Pekka Salonen, Arabella Steinbacher et le Philharmonia Orchestra au Théâtre des Champs-Elysées – Dissonances – Compte-rendu
On l’attendait comme l’un des événements majeurs de la saison symphonique : Salonen, le presque mythique Finlandais depuis qu’il y a dix ans il fascinait un Opéra Bastille enamouré par sa vision de Tristan et Isolde, lunaire et suspendue comme un ovni dans le ciel de nos rêves. Auparavant, pour les Français il était déjà une vedette, dès lors il devint un nom sacré. Et tant de concerts hors normes ont suivi. Entre deux représentations du doublé Bartók-Poulenc à Garnier, dans lequel sa direction s’est révélée aussi inspirée que la régie de Krysztof Warlikowski, Salonen avait donc rendez-vous avec les musiciens du Philharmonia. Etrange coup de semonce que celui flanqué aux Parisiens avec ce concert d’une totale agressivité où le chef semblait jubiler des chocs infligés au public, tandis que la formation londonienne, sans doute habituée aux heurts de sa baguette, suivait bon gré mal gré, laissant entrevoir des beautés du côté des bois, mais pour le reste rien que de très ordinaire dans les cordes, et si en deçà de sa réputation fameuse.
D’entrée de jeu, une ouverture peu jouée de Beethoven, Zur Namensfeier (Jour de fête), écrite pour la fête de l’Empereur François en 1815, et qui procède incontestablement d’une veine gaie chez le compositeur. Une sorte de fanfare aux allures gaillardes, menée par le chef comme une cavalcade, tapant dur, fort et sec, bref une curiosité. On se disait : « c’est une mise en bouche tonique ».
Les choses ont pris un mauvais tour avec le Concerto de Brahms, joué par la merveilleuse Arabella Steinbacher (photo), la plus fine, la plus poétique des violonistes de la jeune génération, digne émule d’une Anne-Sophie Mutter (dont la Fondation l’a d’ailleurs soutenue), en moins souverain et en plus féminin. Elle ne demandait qu’à déployer son chant, sa douceur d’archet, sa sonorité moelleuse, et pour cela il lui a fallu quasi lutter contre le chef, qui l’écrasait d’une rigueur inutile, la coinçait dans un carcan aux allures bouléziennes au point que leurs allures étaient loin de concorder, sans parler de leurs styles. Elle a pu heureusement laisser aller son tempérament et sa virtuosité dans un superbe bis, la Sonate n° 2 « Obsession » d’Ysaÿe, libre enfin, malgré la terrible difficulté de la pièce.
Avec la 2e Symphonie de Beethoven, tout s’est définitivement aggravé : une sorte de furia vengeresse, une dureté presque sardonique, Salonen transformant l’allure en marche forcée, la vivacité en coups de canon et les assauts vigoureux de l’énergie beethovénienne en axiomes tranchants, alors que l’œuvre, pas encore porteuse des grands messages du compositeur, est incontestablement joyeuse. La main découpant les phrases comme des claques, les airs de star triomphante, la battue féroce, on cherchait en vain le chef dont on a tant aimé dans d’autres circonstances l’inspiration raffinée et étrange, l’intelligence subtile. Bizarre, vous avez dit bizarre ? A oublier en tout cas, en attendant le prochain, forcément meilleur.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 7 décembre 2015
Photo Arabella Steinbacher © Peter Rigaud
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