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Eurydice de Matthew Aucoin en direct du Metropolitan Opera / « Met Live in HD » – L’Enfer, c’est l’oubli – Compte-rendu
Cette saison, le Met prend décidément très au sérieux sa mission d’encouragement à la création lyrique, puisque pas moins de deux œuvres contemporaines sont présentées au public, jusque dans les retransmissions « Met Live in HD » proposées dans les cinémas du monde entier. Après Fire Shut Up in My Bones de Terence Blanchard, initialement créé à Saint-Louis en 2019, vient le tour de Eurydice, opéra co-commandé par le Met et par l’Opéra de Los Angeles où il a été donné en première mondiale en février 2020. Pour sa cinquième œuvre lyrique, Matthew Aucoin, né en 1990, a choisi de se confronter avec rien moins que le mythe fondateur du genre : le livret est l’œuvre de Sarah Ruhl, qui a, pour l’occasion, adapté une pièce de théâtre écrite en 2003.
Un Orphée de plus ? Pas tout à fait, puisqu’à l’intrigue archi-connue de la descente aux enfers s’ajoutent plusieurs autres éléments. Outre le recentrage prévisible sur le personnage féminin, une place importante est accordée au défunt père d’Eurydice, qui lui adresse un message depuis le monde souterrain, qui l’accueille aux enfers, qui s’afflige de voir Orphée venir la rechercher, et qui choisit de se replonger dans le Léthé pour oublier sa souffrance. Eurydice elle-même, après sa seconde mort, tentera vainement de retrouver son père et ira elle aussi boire l’eau de l’oubli. L’œuvre se termine sur le retour d’Orphée aux enfers : après avoir succombé aux coups des ménades, il redescend chez Hadès, mais est désormais muet…
Mathew Aucoin © matthewaucoin.com
Mary Zimmermann avait déjà monté au Met quatre productions, de Lucia di Lammermoor en 2007 à Rusalka en 2017. Saluée pour ses adaptations de la mythologie classique, elle semblait toute désignée pour Eurydice : même si l’on retrouve son goût pour le rose fuchsia (le manteau d’Eurydice rappelle furieusement la robe de l’héroïne d’Armida en 2010), la metteuse en scène fait ici preuve d’une sobriété bienvenue. On peut s’interroger sur le comique appuyé de certains épisodes, notamment en relation avec Hadès, mais sans doute fallait-il ces moments de comic relief pour faciliter l’adhésion du public. Quant à la partition de Matthew Aucoin, elle offre le cas inverse de ce qui est trop souvent le cas dans les opéras d’aujourd’hui : si elle s’avère tout à fait convaincante pour les voix, l’écriture orchestrale en paraît beaucoup moins originale, et c’est dommage. Yannick Nézet-Séguin en met en valeur la vigueur rythmique, mais ne saurait y introduire la variété de couleurs qui fait un peu défaut.
De ce soin apporté aux voix témoigne le travail accompli avec la titulaire du rôle-titre, Erin Morley, dont on nous apprend durant l’entracte qu’elle a collaboré avec le compositeur pour adapter la musique à ses moyens (à Los Angeles, c’est Danielle De Niese qui incarnait le personnage). Sur le plan vocal et théâtral, la soprano porte incontestablement l’œuvre sur ses épaules, avec notamment ses deux monologues sur l’amour. Pour ses débuts au Met, Nathan Berg trouve dans le rôle émouvant du père un emploi lui permettant de montrer d’autres facettes de son talent que les opéras baroques où il est généralement confiné aux méchants. Barry Banks émet sans effort apparent les suraigus exigés de Hadès. Orphée, lui, est la plupart du temps dédoublé : le baryton Joshua Hopkins est le musicien dans sa dimension terrestre, une autre ligne de chant – interprétée par le très angélique contre-ténor Jakub Józef Orliński, dont ce sont aussi les débuts au Met – venant se superposer à la sienne pour exprimer sa dimension plus éthérée. Et il convient de saluer la prestation des trois « pierres » qui commentent l’action aux enfers, le ténor Chad Shelton, la soprano colorature Stacey Tappan, et la contralto Ronnita Miller.
Laurent Bury
Matthew Aucoin : Eurydice – Paris, Pathé Opéra Premier, 4 décembre 2021 // www.pathelive.com/eurydice-21-22
Photo © Met Live in HD
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