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Falstaff à l’Opéra de Lille – La vraie obésité est intérieure – Compte-rendu
Falstaff à l’Opéra de Lille – La vraie obésité est intérieure – Compte-rendu
C’est un Falstaff sans une trace d’amertume qu’a réussi Denis Podalydès pour l’Opéra de Lille, et que pourront prochainement applaudir les spectateurs de Caen et de Luxembourg, ces deux villes en étant coproductrices. Un Falstaff dont, par une très réjouissante licence poétique, le héros échappe in extremis au « gentil lynchage » prévu par le livret. Esquissée par son interprète dans une interview accordée il y a déjà plusieurs années (le Covid – encore lui – est passé par là pour retarder la naissance de ce spectacle), l’idée de mise en scène qui permet à Falstaff de devenir spectateur de l’action avait pu paraître étrange : sur le plateau, elle fonctionne à merveille et confirme le côté finalement plutôt sympathique du protagoniste. S’il se trouvait des femmes « così grulle, così citrulle » pour se laisser berner par ses manigances cousues de gros fil blanc, la faute n’en incomberait qu’à elles : nul(le) n’est en fait sous l’emprise de Falstaff, et ce que l’on retient de l’énorme vieux bonhomme, c’est que sous son enveloppe charnelle débordante se cachait un diablotin encore aussi bondissant que lorsqu’il était page du duc de Norfolk.
© Simon Gosselin
Le pari n’était pourtant pas gagné, et le premier tableau laisse un peu sceptique : en prenant pour cadre cet hôpital sordide, Podalydès et ses complices habituels – Eric Ruf pour un décor a priori austère mais qui se transforme au fil de la représentation, grâce aux éclairages, Christian Lacroix pour des costumes qui semblent évoquer l’immédiat après-guerre – laissent présager une soirée où une réalité sinistre pourrait bien l’emporter sur la fantaisie, d’autant que les enjeux d’une intrigue transposée entre patients et soignants n’apparaissent pas d’abord très clairement (même si quantité d’allusions aux maux du corps dans le texte autorisent cette version « médicalisée »). Heureusement, tout s’arrange dès que Falstaff quitte son lit, et le deuxième tableau a toute l’animation souhaitable, les quatre commères devenant deux joyeuses infirmières de Windsor, et Fenton un jeune malade dont le pharmacien Ford ne veut pas entendre parler comme prétendant pour sa fille, à laquelle il prétend imposer le Docteur – évidemment – Caïus. Et la dernière scène, où le héros passe sur le billard, voit la représentation s’affranchir des contraintes du réalisme, pour notre plus grand bonheur.
Le pari n’était pourtant pas gagné, et le premier tableau laisse un peu sceptique : en prenant pour cadre cet hôpital sordide, Podalydès et ses complices habituels – Eric Ruf pour un décor a priori austère mais qui se transforme au fil de la représentation, grâce aux éclairages, Christian Lacroix pour des costumes qui semblent évoquer l’immédiat après-guerre – laissent présager une soirée où une réalité sinistre pourrait bien l’emporter sur la fantaisie, d’autant que les enjeux d’une intrigue transposée entre patients et soignants n’apparaissent pas d’abord très clairement (même si quantité d’allusions aux maux du corps dans le texte autorisent cette version « médicalisée »). Heureusement, tout s’arrange dès que Falstaff quitte son lit, et le deuxième tableau a toute l’animation souhaitable, les quatre commères devenant deux joyeuses infirmières de Windsor, et Fenton un jeune malade dont le pharmacien Ford ne veut pas entendre parler comme prétendant pour sa fille, à laquelle il prétend imposer le Docteur – évidemment – Caïus. Et la dernière scène, où le héros passe sur le billard, voit la représentation s’affranchir des contraintes du réalisme, pour notre plus grand bonheur.
© Simon Gosselin
Dans la fosse, Antonello Allemandi fait avancer la musique sans traîner un seul instant, mais sa direction un peu trop carrée ne permet pas toujours de fignoler les mille détails dont fourmille la partition : on voudrait souvent plus d’ironie pour accompagner certains moments, plus de nuance piano en général. En revanche, prise un peu trop lentement, la pétarade des percussions soulignant le moment où les commères décrivent la baudruche qui crève ne produit pas l’effet comique attendu, par exemple, même si l’Orchestre National de Lille se défend bien face aux exigences du dernier Verdi, tout comme le Choeur de l’Opéra.
Dans la fosse, Antonello Allemandi fait avancer la musique sans traîner un seul instant, mais sa direction un peu trop carrée ne permet pas toujours de fignoler les mille détails dont fourmille la partition : on voudrait souvent plus d’ironie pour accompagner certains moments, plus de nuance piano en général. En revanche, prise un peu trop lentement, la pétarade des percussions soulignant le moment où les commères décrivent la baudruche qui crève ne produit pas l’effet comique attendu, par exemple, même si l’Orchestre National de Lille se défend bien face aux exigences du dernier Verdi, tout comme le Choeur de l’Opéra.
© Simon Gosselin
Heureusement, la distribution vocale est, elle, sans reproche, malgré quelques inquiétudes dans les premières minutes. Certes, les figures secondaires, si tant est qu’il y en ait dans Falstaff, sont fort bien tenues par Damien Pass et Loïc Félix, mais Luca Lombardo, que son glorieux passé devrait aider à composer un sonore Dr Caïus, semble garder les yeux rivés sur le chef.
Gabrielle Philiponet, après sa superbe Marguerite dans le Faust de Limoges, paraît d’abord un peu gênée dans le rôle d’Alice, dont elle privilégie curieusement les graves, mais très vite, la soprano s’installe dans son personnage et révèle qu’elle en maîtrise toute la tessiture et en a l’intelligence affûtée. Julie Robard-Gendre est une Meg Page de luxe, et Silvia Beltrami un grand bonheur en Quickly, combinant miraculeusement acuité de la diction et opulence du timbre. Clara Guillon est une exquise et piquante Nannetta, avec des aigus délicieusement filés, d’une voix charnue mais claire. Kevin Amiel met toute sa générosité au service d’un Fenton moins conquérant mais plus touchant que parfois. C’est une riche idée que d’avoir confié Ford à l’excellent comédien et non moins excellent chanteur qu’est Gezim Myshketa : le cocu imaginaire redevient ici une vraie figure de premier plan, comme il n’aurait jamais dû cesser de l’être, et chaque effet, chaque geste est admirablement calculé.
Mais bien sûr, c’est en grande partie sur les épaules de Tassis Christoyannis que repose le succès du spectacle : renouant avec ce répertoire verdien dans lequel on a moins eu l’occasion de l’entendre en France ces dernières années, le baryton grec triomphe, glorieusement en voix – on est loin des chanteurs qui abordent le rôle en fin de parcours – et théâtralement jubilatoire, avec ou sans ses appendices postiches. On n’est pas près d’oublier ce Falstaff qui se trémousse avec entrain tout au long de l’ensemble sur lequel l’opéra se conclut, avec plus de joie que jamais.
Heureusement, la distribution vocale est, elle, sans reproche, malgré quelques inquiétudes dans les premières minutes. Certes, les figures secondaires, si tant est qu’il y en ait dans Falstaff, sont fort bien tenues par Damien Pass et Loïc Félix, mais Luca Lombardo, que son glorieux passé devrait aider à composer un sonore Dr Caïus, semble garder les yeux rivés sur le chef.
Gabrielle Philiponet, après sa superbe Marguerite dans le Faust de Limoges, paraît d’abord un peu gênée dans le rôle d’Alice, dont elle privilégie curieusement les graves, mais très vite, la soprano s’installe dans son personnage et révèle qu’elle en maîtrise toute la tessiture et en a l’intelligence affûtée. Julie Robard-Gendre est une Meg Page de luxe, et Silvia Beltrami un grand bonheur en Quickly, combinant miraculeusement acuité de la diction et opulence du timbre. Clara Guillon est une exquise et piquante Nannetta, avec des aigus délicieusement filés, d’une voix charnue mais claire. Kevin Amiel met toute sa générosité au service d’un Fenton moins conquérant mais plus touchant que parfois. C’est une riche idée que d’avoir confié Ford à l’excellent comédien et non moins excellent chanteur qu’est Gezim Myshketa : le cocu imaginaire redevient ici une vraie figure de premier plan, comme il n’aurait jamais dû cesser de l’être, et chaque effet, chaque geste est admirablement calculé.
Mais bien sûr, c’est en grande partie sur les épaules de Tassis Christoyannis que repose le succès du spectacle : renouant avec ce répertoire verdien dans lequel on a moins eu l’occasion de l’entendre en France ces dernières années, le baryton grec triomphe, glorieusement en voix – on est loin des chanteurs qui abordent le rôle en fin de parcours – et théâtralement jubilatoire, avec ou sans ses appendices postiches. On n’est pas près d’oublier ce Falstaff qui se trémousse avec entrain tout au long de l’ensemble sur lequel l’opéra se conclut, avec plus de joie que jamais.
Laurent Bury
Giuseppe Verdi : Falstaff - 12 mai (quatrième représentation) ; prochaines représentations les 14, 16, 19, 22 et 24 mai 2023 (www.opera-lille.fr/spectacle/falstaff/) Diffusion en direct sur grand écran dans une vingtaine de villes des Hauts-de-France le mardi 16 mai à 20h ( www.opera-lille.fr/spectacle/opera-live-falstaff/ )
Photo © Simon Gosselin
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