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« Fauré aujourd’hui » par L’Instant Donné à la Marbrerie de Montreuil – Fauré en rêve – Compte-rendu
Le centenaire Fauré (1845-1924) est encore loin de nous mais certains musiciens semblent déjà s’y préparer. On ne saurait le leur reprocher compte tenu de la méconnaissance dont – Requiem, Elégie et quelques autres pièces ultra célèbres mises à part – souffre la vaste production celui qu’Henri Collet désignait en 1922 comme « le plus pur musicien de l’Europe actuelle ».
Fondé en 2002, l’ensemble L’Instant Donné, un collectif que l’on a eu l’occasion de découvrir à l’affiche du Festival d’Automne, de l’Ircam ou de Radio France, a depuis 2017 pris ses quartiers à la Marbrerie de Montreuil. C’est en ce lieu singulier et éclectique qu'on l’a retrouvé il y a peu pour « Fauré aujourd’hui » ; après Lugano et Fribourg au tour de la France de découvrir un programme mêlant des pages originales du Français aux regards que trois créateurs contemporains portent sur l’auteur de L’Horizon chimérique.
© Concertclassic
D’une manière aussi simple que prenante, la soprano Marion Tassou (photo) ouvre la soirée avec Après un rêve, portée par le piano expressif de Caroline Cren. Suit D’après un rêve (2020) du Suisso-italien Mario Pagliarini (né en 1963), pour flûte, clarinette, violoncelle, piano et voix enregistrée : l’œuvre donne le ton d’un concert où la musique de musique de Fauré est perçue à travers le prisme de la sensibilité contemporaine. Placée en coulisse, la clarinette reprend le thème de la mélodie dans le premier volet (Loin), tandis que les autres instruments se livrent à des effets plus «contemporains », ce qui sera tout autant le cas dans la seconde partie (Caché), qui fait pour sa part appel à la voix enregistrée. Dialogue du présent et du passé ...
Marion Tassou et Caroline Cren sont à nouveau réunies pour le trois premiers numéros de la Chanson d’Eve op. 95 (1906) (Paradis, Prima Verba et Roses ardentes) ; la soprano séduit tant par l’immédiateté que la densité poétique de son approche, bien secondée par le jeu harmoniquement très fouillé de sa complice pianiste. La transition se fait naturellement avec le morceau qui arrive puisque la Chanson d’Eve est postérieure d’une année seulement à la Barcarolle n° 7 qui a servi de point de départ à Johannes Schöllhorn (né en 1962) dans Sérigraphie : Barcarolle, pour flûte, clarinette, piano, percussion, violon et violoncelle.
Une pièce remarquable (de 2007), qui échappe aux tics d’une certaine musique contemporaine (ce qui n’est pas toujours le cas de la partition de Mario Pagliarani ...) et métamorphose des détails de l’Opus 90 au moyen d’une écriture très fluide, riche de beaux alliages de timbres, que les membres de L'Instant Donné restituent d'un geste très libre.
Gérard Pesson (à dr.) et Mathieu Nuss © Concertclassic
Amoureux de la couleur instrumentale, Gérard Pesson, referme la soirée avec la création française de son Fauré à Lugano (2021-2022) – la cité suisse était un lieu cher à l’auteur de Pénélope ; il y séjourna à plusieurs reprises entre 1909 et 1913. A partir de pièces pour piano (les Préludes op. 103 nos 1, 4 et 7, la 10e Barcarolle) et de mélodies (Jardin clos nos 1, 2 et 3 : Chanson d’Eve nos 7 et 10), le compositeur a conçu une partition (d’une petite demi-heure) pour voix, flûte, clarinette, piano, harpe, percussion, violon, alto et violoncelle.
Dès Beau implacable, premier des neuf numéros qui forment Fauré à Lugano, l’oreille plonge dans un univers sonore onirique, vaporeux, où se lit la signature d’un maître de l’infiniment nuancé. Pesson ne transcrit par Fauré mais le transfigure littéralement dans une réalisation d’un envoûtant foisonnement poétique (mention spéciale pour le n° 6 Barcarolle Lugano Bella, d’après la 10e Barcarolle), au cours de laquelle la voix est parfois traitée de manière très instrumentale tandis que la percussion occupe toujours une place essentielle (bravo à Maxime Echardour, particulièrement sollicité et investi !), contribuant à tisser un écrin pour le rêve de l’auditeur. Magique jusqu’à la dernière note, Fauré à Lugano s'achève par Avec Pénélope ; ultime maillon, inspiré par le 7e Prélude en la majeur, pour lequel Mathieu Nuss a fourni un texte original à Gérard Pesson.
Prochain rendez-vous avec L’Instant Donné à la Marbrerie le 27 février (à 11h) dans un programme « La Musique qui fait sourire ».
Alain Cochard
Montreuil, Le Marbrerie, 10 février 2022
La Marbrerie : lamarbrerie.fr/
L’Instant Donné : www.instantdonne.net/ ( Quelques extraits de Fauré à Lugano sont accessibles sur le site de L’Instant Donné
Photo © concertclassic
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