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Fauré et Mozart au Festival de La Chaise-Dieu 2024 – Maturité d’un maître, éternité d’un chef-d’œuvre – Compte-rendu

 

 
Après Didon et Énée de Purcell, le Répons du baptême selon Thomas Lacôte et le Requiem de Fauré – voix sacrées et profanes entendues par Jean-Guillaume Lebrun en première semaine du 58Festival de La Chaise-Dieu  (1) – Concertclassic revenait en deuxième semaine sur le plateau auvergnat. En guise d’ouverture et de coda en altitude : Fauré et Mozart.
 

© Bertrand Pichène
 
De Gabriel à Fauré : maturité
 
Dans la sobriété de pierre et de bois de l’auditorium Cziffra, c’est l’acoustique qui pour ainsi dire saute aux oreilles : nette et suave, droite et chaleureuse, on se dit qu’elle convient bien au compositeur Gabriel Fauré que Vladimir Jankélévitch décrivait comme une ambiguïté des contraires. De savoureux « jeux d’enfants » (les Pièces op. 130), écrits par Mel Bonis (1858-1937) pour un piano où s’amusent les quatre mains de Simon Zaoui et Romain Descharmes, ouvrent le chemin qui nous conduit de Gabriel à Fauré : maturité. Soit du Quatuor pour piano et cordes n° 1 op. 15 – Fauré a une trentaine d’années quand il le compose – au Quintette pour piano et cordes n° 2 op. 115 – enfermé dans la surdité, il a 77 ans. Contrastes, évidemment.
 
© Palazzetto Bru Zane / fonds Leduc

 
Subtil et capiteux, lumineux et dense
 
Entre le lyrisme lumineux, joueur même, de l’œuvre de jeunesse où passent toutefois des pressentiments du fameux Requiem, et dans l’adagio quelque chose du recueillement de la cloche qu’on entend dans les tableaux de Millet ; et le tuilage dense et complexe de l’œuvre de maturité où les flux et les strates prennent le dessus sur les lignes. Mais plus que le contraste, c’est l’unité que l’on retient. La cohésion des musiciens assemblés qui se connaissent par cœur et cette musique de même. Comme des membres d’une association reconnue d’intérêt musical où chacun à tour de rôle sort prendre l’air avant de revenir dans l’onde commune, animée par le piano de Simon Zaoui. Le violoncelle de Raphaël Merlin, discret dans les œuvres de Fauré, cède volontiers la place au grain nature de l’alto de Lise Berthaud. Quant à Pierre Fouchenneret, quel violon ! Savoureux et poétique, jamais astringent, avec de la mâche. Par la grâce des cinq de ce club Fauré, intégrant avec bienveillance le jeune violoniste Alexandre Pascal dans le Quintette, le chroniqueur a réajusté ses a priori coupables sur la musique de Fauré ! Le monde d’hier aux couleurs un peu fanées s’est révélé subtil et capiteux, lumineux et dense – on ne sort décidément pas de l’ambiguïté des contraires…

 

David Reiland © DR
 
Dans l’altitude d'un chef d’œuvre universel
 
En coda de ces deux jours – et avant de s’intéresser au retour de Cappella Mediterranea à La Chaise-Dieu (2) –, c’était Mozart dans l’abbatiale Saint-Robert, la Symphonie n° 29, style galant du XVIIIe siècle à Salzbourg et affects d’un jeune compositeur de dix-huit ans qui ne cherche pas encore à soulever des montagnes. L’Orchestre national de Metz Grand Est sous la conduite de son chef titulaire, le Belge David Reiland, savoure chaque bouchée de cette musique charmante, enjouée, divertissante.
Le célébrissime Requiem qui succède a, lui, dépassé son siècle pour atteindre l’altitude du chef-d’œuvre universel. Pris dans un tempo mesuré, avec les éclats de lumière du formidable Chœur de la Radio Flamande, c’est un Mozart plus classique que baroque, qui aurait cependant écouté les conquêtes des interprétations sur instruments d’époque – lisibilité, vivacité – sans amnésie sur ce qui se faisait auparavant. David Reiland bataille pour maintenir, dans l’acoustique claire de l’abbatiale, les équilibres entre les instruments et les voix.
Du groupe homogène formé par les solistes Floriane Hassler (mezzo), Jonathan Abernethy (ténor), Gerard Farreras (baryton), la soprano Hélène Carpentier s’extrait parfois sur une intonation plus opératique – mais l’opéra n’est-il pas l’une des beautés glorieuses des voix de femme chez Mozart ? Alors, certes, ce Requiem classique pouvait ne pas convenir à l’écoute des nouvelles générations envoûtées par Raphaël Pichon ; mais qui est né à Mozart entre la messe funèbre de Karl Böhm et les coups de théâtre de Nikolaus Harnoncourt se sentait revenir dans la maison de ses vacances d’enfance, avec un peu de nostalgie…
 
En ouverture de concert, le Cantus in memoriam of Benjamin Britten d’Arvo Pärt, impeccable d’équilibre et de couleurs, constituait une révélation pour beaucoup de festivaliers. Et l’on se prend à rêver, ici dans l’ascèse des murs nus et l’éclat des vitraux, d’une grande œuvre sacrée d’Arvo Pärt, comme sa Passio
 
Didier Lamare
 
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