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« Féeries Célestes » par Emmanuel Pélaprat aux « Heures Musicales de Saint-Roch » – Découvertes et émerveillement – Compte rendu

 

 
 
Les proportions d’un somptueux salon, l’acoustique en plus, où trônerait l’un des instruments les plus prisés des demeures parisiennes au XIXsiècle : l’harmonium (ou « orgue expressif » – brevet déposé en 1842 par Alexandre-François Debain), version haut de gamme. En l’occurrence, en la chapelle de la Nativité (chapelle d’axe) de l’église Saint-Roch, paroisse des artistes de Paris, un Orgue-Célesta Mustel de 1910, d’une beauté et d’une acuité irrésistibles. Il s’agit en fait de l’association de deux instruments de principe différent : un « harmonium d'art » à double expression (premier clavier), système autorisant, entre autres multiples raffinements, de saisissantes oppositions de dynamique entre main gauche et main droite – on note également la possibilité de bloquer des notes, en guise de tenues ; un célesta (second clavier), instrument de la famille des percussions inventé en 1886 par Auguste-Victor Mustel (1842-1919), fils de Charles et père d’Alphonse, illustre lignée.
 

© DDM 
 
Noms connus, œuvres rares

Déjà venu aux Heures Musicales de Saint-Roch en 2016, Emmanuel Pélaprat, titulaire de l’orgue Eugène Puget (1880) de l’église Notre-Dame du Taur à Toulouse, professeur à l’Université de Bordeaux-Montaigne et auteur d’une thèse intitulée L’harmonium d’Art : facture et répertoire pour un instrument de concert et de salon, offrait un très original programme, spécifiquement conçu pour ce type d’instrument double : certes beaucoup de noms connus, mais que des découvertes.
 

Orgue-célesta Mustel 1910 © Mirou

Un César Franck inédit

Tout d’abord quatre œuvres pour harmonium d’art, introduites par La ronde des gardes du roi, sixième et dernière pièce, pétillante d’inventivité, des Nuits napolitaines op. 183 (1868) de Lefébure-Wely. Lequel, alors organiste de Saint-Sulpice, après Saint-Roch et la Madeleine, fait dans la préface du recueil l’éloge des harmoniums Mustel, parangon de progrès et de qualité musicale. S’ensuivirent le Prélude en la majeur de Saint-Saëns, sans doute en première audition, écrit pour la Méthode d’harmonium (v.1860) de Frédéric Wachs (1824-1896), chanteur, auteur d’opérettes et… maître de chapelle à Saint-Merry (où son fils, Étienne-Victor-Paul, fut organiste) ; puis – en toute première audition – Andante et Prière (v. 1880) de Franck en sa maturité (même époque que les trois chefs-d’œuvre dits « du Trocadéro »), pages d’une écriture dense et riche sur le plan harmonique mettant à profit toutes les ressources de l’instrument, d’après un manuscrit retrouvé en 2023 et vendu aux enchères (désormais en Grande-Bretagne) ; enfin, de Sigfried Karg-Elert, champion de l’instrument au début du XXsiècle, Choral-Improvisation über den englischen Choral "Näher, mein Gott, zu dir !" [Nearer, My God, to Thee – « Plus près de Toi, mon Dieu »], dernière mélodie entonnée par les musiciens du Titanic en 1912, l’œuvre se faisant (très explicitement) l’écho du naufrage.
 
 

Jacques Loiseleur, Jacques Prévot & Emmanuel Pélaprat © DR

 
Nuances subtiles et raffinées

Cloches du soir de Clément Lorent (professeur d’Alphonse Mustel, mais aussi de Gigout et Fauré) ouvrait la partie consacrée à l’orgue-célesta, les deux instruments (avec possibilité d’accoupler le premier clavier sur le second) se complétant de façon idéale au gré de portraits musicaux hauts en couleur. Qui dit salon, dit aussi mélodie – ou mélodrame, genre à part entière dont on goûta quelques spécimens éloquents et variés, un texte parlé et rythmé – Jacques Loiseleur ou/et Jacques Prévot, récitants – venant se synchroniser sur la musique. Nuit divine de Pierné, poème d’Albert Samain ; Ballade fantastique d’Alphonse Mustel, poème de René Delbost ; deux grandes pièces de Georges Spetz (1844-1914) : Le Sphinx, poème du vicomte Borelli, Le Pauvre, texte de Maurice Bouchor. Pages brillantes, captivantes et virtuoses pour l’instrument – qui exige une connaissance intime de son maniement pour en tirer, comme le fait Emmanuel Pélaprat, les nuances les plus subtiles et raffinées – complétées en beauté de la Marche funèbre d’une marionnette de Gounod (transcrite par l’interprète) et de Scène féerique de Pierné, inspirant le titre de ce programme. Émerveillement de la découverte d’un répertoire et d’un univers qui ont tout pour séduire.
 
Michel Roubinet
 

 Église Saint-Roch, Paris, 16 mars 2025
 
 
Sites Internet
 
Emmanuel Pélaprat
https://classicahors.com/2021/02/08/emmanuel-pelaprat/
 
Le Carnet de Lecture d'Emmanuel Pélaprat, claveriste, harmoniumiste
singulars.fr/le-carnet-de-lecture-demmanuel-pelaprat-claveriste-harmoniumiste-classicahors/
 
Qu’est-ce qu’un harmonium ?
www.culture.gouv.fr/content/download/277299/3210359?version=1
 
Ouvrage de référence :
Mustel, facteurs et facture d'harmoniums d'art, par Jacques Prévot, revue L'orgue (Bulletin des Amis de l’Orgue), n° 304-305 (2013/4-2014/I)
 
 

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