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Festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan – Du Cocon au Cosmos – Compte-rendu

Le Festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan achève sa 27e édition sur un succès public certain, qui ne fait que s’accroître depuis qu’il est en résidence au Théâtre de l’Archipel, magnifique complexe signé Jean Nouvel, ouvert depuis 2011. A l’origine modeste, niché au cœur du CRR de Perpignan, ce rendez-vous de musique contemporaine (dont la programmation est signée de Jackie Surjus-Collet) a pris son envol et s’est trouvé une voie, à la croisée des chemins entre musique électronique, électro-acoustique, musique contemporaine, théâtre, danse, création, installations, performances.
 
Un cube rouge dominant, une sphère couleur grenat (la pierre régionale), le Carré, le Panorama et la verrière du 7e étage, un Studio noir à la pointe de l’équipement numérique et sonore, tout est mis en place pour éveiller les cinq sens du spectateur, et lui faire découvrir des objets ou spectacles singuliers dans les différents espaces de L’Archipel. Nous avons suivi le parcours type d’une soirée de festivalier : trois installations, un concert de première partie et le grand spectacle au Grenat. On passera vite sur Vie et Mort d’une Diva, sculpture sonore géante mappée, signée Thomas Voillaume, installée le temps du Festival sur le parvis du théâtre. Elle s’anime à la nuit tombante, envahie d’images mapping vidéo et de sons d’Erik Lorré. Accueil un peu refroidissant.
La Matrice © Aujourd'hui Musiques
 
Les choses s’arrangent bien vite avec l’installation dite comportementale La Matrice, hébergée au Studio, également conçue par Erik Lorré dans sa scénographie, et Florent Colautti pour le son. Le spectateur entre dans l’univers du film Matrix (réal. L. et A. Wachowski, 1999) en suivant, devant des écrans, un cheminement marqué au sol. Les mouvements et les silhouettes sont scannés et une pluie de codes chiffrés s’intègre aux données numériques du lieu. La partition évolue, ou plutôt se régénère en direct, au gré des flux dont nous sommes les héros ! Ludique.
Cocon © Aujourd'hui Musiques
 
Enfin, nous voici invités à nous allonger dans Cocon, installation visuelle, sonore, et olfactive : parfaite préparation psychologique et physique au spectacle qui va suivre. Car le projet de Cocon est bel et bien d’envoûter le spectateur ou de le faire rêver éveillé. La musique électro-spatialisée s’accompagne d’un instrument de cristal (qu’on a d’abord pris pour des lampes ultra design), d’un « odorama » et d’une vidéo en temps réel projetée à 180°, sans oublier le tapis vibrant au gré des ondes sonores … Une œuvre incontestablement poétique, et accessoirement, un formidable massage multisensoriel !
Bravo pour ce premier partenariat entre La Folie Numérique (La Villette, Paris) et L’Archipel, qui permet de faire découvrir toute cette vitalité artistique.
 
Après un concert de musique électronique sous la verrière d’accueil (sons « old-school » des synthétiseurs analogiques), où s’agrège progressivement le public, les conditions sont réunies pour embarquer à bord d’Apollo 11, et s’immerger dans le son cosmique des années 60-70, avec cette proposition imaginaire d’une bande musicale originale de la fameuse mission spatiale.
 
Thierry Balasse et sa compagnie créent un spectacle total pour six musiciens, un orchestre de haut-parleurs et une acrobate flottant littéralement au-dessus des musiciens sur une courbe suspendue, au centre de la scène.
Amoureux des Pink Floyd, partenaire hier de Pierre Henry et aujourd’hui l’un de ses héritiers directs, Thierry Ballasse (photo) est non seulement un compositeur de musique électroacoustique, mais aussi un metteur en sons, improvisateur hors pair et spécialiste des objets sonores et des bagues larsen. Il n’en est pas à sa première collaboration avec le Festival, puisqu’en 2016 déjà, il avait donné en live La Messe pour le Temps présent de P. Henry – un choc musical encore perceptible parmi l’équipe du théâtre et chez ceux qui avaient pu y assister.
Cosmos 69 © Aujourd'hui Musiques
 
Le Festival lui a commandé cette année Quanta Canta, pièce intégrée en ouverture de Cosmos 69. L’analogie entre les découvertes récentes en cosmologie (ondes gravitationnelles) et le phénomène physique sonore ont conduit le compositeur à imaginer une musique synthétique permettant de reproduire ou d’imiter musicalement ces expériences scientifiques.
 
Cosmos 69 est un projet ambitieux et fascinant, dont l’approche multidimensionnelle nous fait vivre la densité, la fragilité, la gravité modifiée, l’apesanteur, la légèreté ou la violence d’Apollo 11 dans son espace-temps dilaté.
Ainsi, de la même façon que Stanley Kubrick avait constitué sa bande musicale originale à partir de grands classiques pour 2001, l’Odyssée de l’Espace, Thierry Ballasse et sa compagnie ont puisé dans le répertoire pop de la fin des 60’s : Pink Floyd (Set the Control for the Heart of the Sun, Astronomy Domine, Echoes), David Bowie (Space Oddity), King Crimson (Epitaph), les Beatles (Because), mais aussi créé Quanta Canta, ou revisité « O Solitude » de Purcell, moment de grâce absolue par la voix douce et cristalline de Cécile Maisonhaute.
Les chansons pop mémorielles ont été choisies pour les voyages intersidéraux qu’elles évoquent, mais aussi et surtout pour leur utilisation, révolutionnaire alors, des effets spéciaux des tous nouveaux synthétiseurs Moog et EMS, apparus en 1969.
Cosmos 69 © Aujourdhui Musiques

A l’heure où la profusion d’images prend le dessus sur tout le reste, Thierry Ballasse défend et assume notre rapport intime aux sons. Pas de projection donc (simple mapping discret en fond de scène), pas de fusée (sauf une miniature immobile à cour près des machines de contrôle du compositeur), cinq musiciens à jardin, en combinaison d’astronaute, et une acrobate dans les airs, suffisent amplement à la scénographie (signée Yves Godin, tout comme les lumières).
 
Sentir ce temps suspendu, entendre et entrer dans l’intimité des vibrations du son, halluciner sur la chanson de David Bowie à laquelle ont été ajoutées les voix, les souffles, les tensions de la Mission Apollo 11, sentir le premier pas lunaire de Neil Armstrong grâce à la chorégraphie aérienne (signée Chloé Moglia et interprétée ici par Fanny Austry), tel est le pari réussi de ce spectacle cosmique qui remet l’humain au centre des technologies les plus pointues, et interroge toujours l’espace infini et les trous noirs qui défient notre entendement.
 
Gaëlle Le Dantec

Perpignan, L’Archipel, 23 novembre 2018

Photo © Aujourd'hui Musiques

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