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Festival de Quatuor à cordes du Lubéron - Au plus profond de la musique - Compte rendu
Riche d’une expérience de plusieurs décennies et de son implantation dans une région aux exquis trésors patrimoniaux, le Festival de Quatuor à cordes du Lubéron a tout connu : on imagine combien d’archets ont vibré ici, venus de partout, des plus prestigieux aux découvertes qui en ont fait un tremplin autant qu’une consécration. Il lui faut donc faire face à l’évolution du genre, aux modifications d’approche, aux déperditions d’âme parfois au sein d’une même formation dont les protagonistes changent progressivement, et aussi cueillir les nouveaux enthousiasmes qui revivifient les styles.
Heureusement Hélène Caron-Salmona, sa directrice depuis 2011, a l’écoute acérée et la dose d’esprit critique suffisants pour imposer à son cru de l’année la rigueur et la variété sans lesquelles le festival ne serait qu’une séduisante galerie de chambristes. Un thème fort cette fois, autour duquel elle a réuni quelques signatures majeures et donné leur chance à des formations en devenir, parfois locales, comme le Quatuor Girard : en plaçant la session sous l’égide de l’Autriche-Hongrie, dans sa période dite du Compromis, ouverte sur le couronnement de la sublime Elisabeth, devenue en 1867 reine de Hongrie. Ce jusqu’à l’écroulement d’un empire vermoulu en 1918.
Revenir à l’Europe centrale pour évoquer la saga du quatuor à cordes, est une démarche qui tient du pléonasme : c’est là qu’il est né, porté à sa plus extrême perfection par Haydn, (ne pas oublier l’apport de Boccherini tout de même à la même époque), surtout à partir de l’année 1772, date du fameux Opus 20, dont ici le Hugo Wolf Quartett aura joué le n°4. C’est là que la nouvelle forme a trouvé son ton le plus intimiste, sorte de retour sur soi dans l’échange et l’harmonie de quatre parties égales, sans le secours d’une basse continue. Ensuite Mozart, Beethoven, Schubert ont complété cet édifice d’essence viennoise.
Mais à la jonction des mondes slaves, magyar et germanique, allait éclore cette fabuleuse floraison d’Europe centrale, revivifiée par la sève populaire que les Smetana, Suk, Dvorak et Bartók allaient injecter dans leurs œuvres, enracinées dans une quête identitaire. On est loin avec leurs élans généreux et extravertis, leur sensualité et leurs couleurs flamboyantes, de la démarche resserrée, intellectuelle qui va de Haydn à Schubert et fait de la musique de ceux-ci une forme plus encore faite pour être jouée entre soi qu’offerte au public. Avec les Tchèques, ou les Hongrois, cette musique de chambre prend une forme plus symphonique, dont deux des formations vedettes du 41e Festival, les Quatuors Zemlinsky et Talich (photo), ont rendu le brillant et la vitalité.
Le Quauor Zemlinsky © www.zemlinskyquartet.cz
Pour les Zemlinsky, le bouleversant Quatuor n°1 « De ma vie » de Smetana, qui retrace un parcours de joie et de douleur, joué avec la sensibilité frémissante qui caractérise cet ensemble, à l’éloquence contagieuse et au sein duquel brille la finesse du violoncelle de Vladimir Fortin, puis le populaire Quatuor « Américain » de Dvorak, rutilant de rythmes et d’énergie, qui n’aurait pas souffert d’un peu plus de largeur poétique et de respiration, et entre deux une œuvre de leur compatriote Jiri Gemrot, son Quatuor n°3, donné en première mondiale, sur un mode assez académique pimenté d’un vif sens de la répétition. Le festival tient en effet à programmer chaque année commandes et créations. Ainsi qu’à faire découvrir des pièces peu connues, comme la transcription faite par le même Gemrot du cycle de mélodies Les Cyprès de Dvorak, que les Zemlinsky ont jouée dans un concert ultérieur, avec la soprano Michaela Gemtorova.
Autres Tchèques, autre ensemble enflammé, le Quatuor Talich, égal à ce jour des Prazak et presque des Takacs : pour eux, on peut parler d’une véritable fièvre tant leur son est charnu, vitaminé, et vibrant. Découvrir l’admirable violon de Ian Talich Jr., un Joseph Gagliano de 1780, notamment dans la Méditation sur le Choral de Saint Venceslas, op.35 de Joseph Suk, profonde et grave, rêver avec la fraîcheur d’un Mendelssohn de 20 ans pour son Quatuor op. 12, d’une délicieuse liberté, puis plonger dans la complexité du Quatuor n°11, op.61 de Dvorak, riche, soutenu, exigeant, pour achever en folie sur quelque czardas roumaine endiablée, après laquelle les musiciens ne se déclaraient nullement fatigués, et la petite église romane de Goult aux voûtes austères et à l’acoustique chaude, devenait lieu de fête ! Avant que le festival ne se termine avec ces joyeux lurons sur la gravité de La Jeune Fille et la Mort de Schubert à l’Abbaye de Silvacane, haut lieu du Festival, comme un retour à la douleur maîtrisée. Preuve que le quatuor à cordes peut tout dire.
Jacqueline Thuilleux
41e Festival international de Quatuor à cordes du Lubéron, les 25, 26 et 28 août 2016 / http://quatuors-luberon.org
Photo Quatuor Talich © Bernard Martinez
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